L'ultime face à face
Une heure après l'explosion d'anti-matière, Tollen revient enfin à Eden. Stesara lui ouvre la porte et s'empresse de le prendre dans ses bras. Ce dernier part ensuite retrouver Richan en train de soigner Aldan. Surpris par son sang bleu et son corps cybernétique, Tollen s'interroge :
— Aldan, dit-il, tout va bien ?
— Notre ami Aldan est un androïde, dit Richan. Ce sang bleu est ce qui lui permet de vivre. Malheureusement, je n'ai pas la technologie pour le soigner, ou devrais-je dire, réparer.
— Je me suis préparé à la mort, dit l'androïde. Promettez-moi d'honorer la mémoire des hommes qui ont péri pour moi lors de la bataille.
— Ce sera fait, dit Tollen.
— Sylbras ? demande Richan à Tollen.
— Quand il a vu ton arme, il a déguerpi vers la capitale. Hélène est à ses trousses.
— Espérons qu'elle parvienne à l'éliminer, dit Aldan. Je compte sur vous pour vous occuper d'Eden.
— Attends, dit Richan, je ne peux pas réparer ton corps. Mais je pense que je peux brancher ta puce cerveau sur Eden. Ton corps serait la ville elle-même.
— Cela fait longtemps que la ville et moi ne formons qu'un. Ça ne changera pas grand chose.
— On trouvera peut-être un jour le moyen de te donner un nouveau corps.
Richan extrait la puce cerveau d'Aldan. Avec le reste du groupe, il va la brancher dans le centre de communication d'Eden avec l'aide des enfants de la Lune. Pas plus d'une heure plus tard, la voix d'Aldan se fait entendre dans l’enceinte de la ville. L'opération a réussi : Aldan est toujours en vie, si on peut appeler ça une vie. Quoi qu'il en soit, sa conscience subsistera tant qu'Eden sera debout.
— C'est une sensation étrange, dit Aldan. J'arrive toujours à vous voir et à vous entendre mais je n'ai plus de corps.
— Tes yeux et tes oreilles sont maintenant les caméras et les micros de cette ville, explique Richan.
— Maintenant que j'ai pleins pouvoirs sur Eden, continue Aldan, nous allons pouvoir la reconstruire et penser à l’ouvrir aux refugiés de tout le royaume.
— Nous allons accomplir le rêve de Lau, dit Stesara. Un village où mutants et non-mutants vivront en paix.
— Avant ça, dit Tollen, je dois libérer mes compatriotes. Toba a parlé d'usines dans lesquelles ils travailleraient la nuit. Vous avez une idée d'où ça se trouve ?
— Il y a bien plusieurs usines au sein du royaume, dit Richan. Elles sont toutes assez éloignées les unes des autres. Ça prendra du temps de toutes les visiter.
— Vous aurez besoin du bus pour les récupérer, dit Aldan.
— Un bus ? demande Tollen.
— C'est avec ça que j'ai conduit les humains non-mutants ici.
— Est-ce qu'il reste du carburant ? interroge Richan.
— Non, continue Aldan. Mais je pense qu'on peut ouvrir la section d'Eden qui permet d'en produire.
— Faisons vite, continue Richan. Nous devons libérer les amis de Tollen tant que l'armée de Sylbras est affaiblie.
Après un long voyage de plusieurs jours effectué seule, comme par le passé, Hélène arrive à Queen City. Cela fait maintenant quelques temps qu'elle n'a plus marché. Redevenir une vagabonde a conforté son idée d'en finir. Bien qu'elle ait trouvé un nouveau groupe, elle sait que ça ne va pas durer. C'est pour éviter de devoir faire face à la solitude qu'elle doit à tout prix mourir avec Sylbras.
Dans les rues de la capitale, Hélène doit se faire discrète ; son visage est placardé partout ; elle le dissimule donc sous la grande capuche de son poncho. Les habitants ne cessent de parler du roi. La rumeur court qu'il a envoyé son armée au casse-pipe et que maintenant il reste cloîtré dans son palais. Hélène a l'oreille attentive et sourit quand elle les apprend.
Lorsque la nuit tombe, Hélène entre dans les jardins du palais. Ceux-ci sont bien moins gardés qu'avant. Cela facilite la tâche de la vagabonde qui parvient rapidement à entrer dans les anciennes chambres des humains non-mutants. De là, elle accède à la salle du trône en tuant deux gardes. La voilà désormais nez à nez avec Sylbras.
— Je t'attendais, dit Sylbras.
Hélène pointe son arme sur lui.
— Prêt à en finir ? demande-t-elle. Tu vas me suivre gentiment et on va faire une balade.
— Je ne bougerai pas d'ici, répond le roi. Si tu veux me tuer, ce sera ici, en courant le risque que j'emporte toute la ville dans l'explosion.
— Tu plaisantes là ?
— Tu pensais que j'avais pas compris ? Richan a travaillé pour moi. Il m'a expliqué les faiblesses de ma mutation.
— Bouge toi de là ! s’emporte Hélène.
— Essaie mais je risque de t'irradier. Je me souviens que tu n'as pas apprécié l'autre fois.
— Tu neme laisses donc pas le choix !
Hélène charge son arme.
— Allons, allons, tu ne vas pas me tuer ici. Si nous discutions d'abord ?
— De quoi tu veux parler ? Météo ?
— Sais-tu ce qui est arrivé à mon armée et à Phia ?
— Pour ton armée je sais pas. J'imagine qu'elle n'existe plus. Pour Phia je peux te répondre : elle est morte.
— C'est bien dommage. Je te propose un marché : je laisse tomber ton groupe et ma chasse aux humains. En échange, tu restes avec moi et deviens ma Reine.
— Je ne sais pas pourquoi tu as fais une fixette sur moi. Mais, c'est non !
— On est probablement les deux seuls immortels de ce mond. Il vaut mieux qu'on passe l'éternité ensemble, tu ne crois pas ?
— Ne crois pas qu'être immortel est un luxe. C'est tout l'inverse.
— Que dis-tu ? Nous n'avons plus rien à craindre.
— Tu ne réfléchis pas à long terme. Que se passera-t-il quand on sera les seuls humains de ce monde et que tu n'auras plus aucun royaume sur lequel régner ? Ou bien quand notre planète ou notre soleil explosera ? Est-ce qu'on explosera avec ou bien est-ce qu'on errera dans l'espace pour l'éternité ?
— On a le temps de penser à ça, non ?
— J'ai vécu plus d'un millénaire. Je ne me souviens plus du début : mon enfance, mes parents, mes premiers amours. Je commence même à oublier le visage de mes enfants. Ce sabre que je porte avec moi, j'y tiens énormément mais je ne sais même plus pourquoi. Tu crois que c'est une vie, ça ?
— Ta décision est prise, alors. Soit ! Mais comme je te l'ai dit, je ne bougerai pas de là.
Hélène s'approche doucement du roi.
— N'essaie pas de me forcer, dit Sylbras. Tu le regretteras !
— J'ai bien compris que tu ne bougeras pas. Je veux pas prendre le risque que tu me voles mon arme. Je veux juste être au plus près de l'explosion. J'espère bien qu'elle m'emportera moi aussi.
— Quoi ? demande Sylbras, terrifié.
Hélène actionne alors son arme. Le visage de Sylbras se décompose de peur. D'un coup, une chaleur immense se dégage puis s'en suit l'explosion nucléaire. Hélène jette son arme et ouvre grand les bras, souriant à la mort. Le souffle balaie toute la capitale et ses alentours. Alors que la vie continuait son cours, elle s'est brusquement arrêtée pour tous les habitants de Queen City, désormais ravagée... Personne n'a rien vu venir ; les pertes humaines sont monumentales.
Une dizaine de minutes plus tard, à l'épicentre de l'explosion, au milieu du cratère, se tient Hélène, debout, entièrement nue. Son corps n'a gardé aucune séquelle de l'explosion. La vagabonde a échoué. Même une explosion nucléaire n'a pu la tuer. Elle tombe au sol à genoux et est saisie d'un fou rire nerveux.