La Révolution est en marche

Sylbras, la tête encapuchonnée, débarque dans une clinique. Il passe l'entrée, descend les escaliers jusqu'au sous-sol et rejoint un groupe de trois individus. Il y a d'abord Phia, une belle jeune femme rousse, Iric, la montagne de muscle et Richan, le scientifique. Avec Sylbras, ils forment « Le Nouvel Ordre », un groupe d'extrémistes qui se donne comme objectif, depuis quelques mois, de faire tomber le pouvoir actuel.

— Alors, dit Sylbras, comment ça se présente ?

— Tout le monde ne parle que de ton attaque, répond Phia. On te recherche dans tout le royaume.

— Bien, répond Sylbras. Ils ne vont jamais penser que j'ai été assez fou pour rester dans la capitale.

— En ville, la vie a repris son cours, annonce Iric.

— Ce n'est pas grave, répond le leader du Nouvel Ordre. L’idée, qui commence à germer dans leur tête, est que les mutants sont au-dessus des humains. Maintenant, nous allons passer à la vitesse supérieure. On va montrer à tous que la Reine se sert de nous.

— A quoi penses-tu ? demande Richan.

— Nous allons libérer les anguilles !

Les anguilles, c'est ainsi qu'on surnomme les mutants capables de produire de l'électricité, en référence à l'anguille électrique. Dès qu'un individu présente cette mutation, il est enrôlé par la Reine pour travailler dans une usine de production d'électricité. C'est une aubaine pour ces mutants qui pensent ainsi accéder à une meilleure qualité de vie. En réalité, il n'en est rien. D'après Richan qui a travaillé pour l'ancien pouvoir, ceux-ci sont vidés de leur énergie jour après jour et ne peuvent quitter l'usine qu'une fois morts.

À la nuit tombée, le groupe de Sylbras s’introduit dans l'usine de production d'électricité, qui n'alimente plus que le Palais car c'est une autre centrale, à charbon cette fois, qui fournit le reste de la ville. Le groupe d'extrémistes se dirige directement vers l'arrière du bâtiment, protégé seulement par deux gardes. C'est Iric qui se charge d'eux. Ce colosse, du fait de sa mutation, a les os plus larges que n’importe qui. En deux coups, il se débarrasse des deux gardiens qui n'ont pas même eu le temps de comprendre ce qui leur arrive. Sylbras et ses hommes entrent alors.

— On va avoir besoin d'une carte d'accès, annonce Richan.

Phia, la jeune femme agile, se faufile à l'intérieur d'une salle de repos dans laquelle trois ingénieurs discutent. Sans être repérée, elle dérobe une carte d'accès à l'un d’entre eux. Elle rejoint alors ses camarades. Ensemble, ils descendent par un ascenseur ; la carte d'accès leur permet d'atteindre le troisième sous-sol, où sont retenues les anguilles, d'après Richan. Cet étage consiste en une immense salle obscure dans laquelle est entreposée une cinquantaine de lits, la plupart occupés par des mutants électriques. Là, un garde patrouille. Iric s'en occupe très vite, lui assénant un puissant coup de poing en pleine figure. Les mutants alités sont maigres ; certains n'ont même plus de jambes ; d’autres sont dotés d'un respirateur artificiel et nourris par perfusion. Leurs mains sont reliées à des câbles : c'est par là qu'est pompée toute l'électricité qu'ils produisent.

— Il y en a énormément, s'étonne Phia.

— Et encore, répond Richan, du temps de la Reine Raven, il y en avait plus d'une centaine. Au fil du temps, de moins en moins d'anguilles sont nées. C'est pourquoi elle a édifié cette centrale à charbon.

— Pas étonnant, explique Sylbras. Cette mutation n'est pas héréditaire.

— Comment allons-nous libérer tout ce monde ? demande Phia.

— Nous n'avons besoin d'en libérer qu'un, capable de parler et dans le pire état possible, commande le leader du Nouvel Ordre. La Reine libérera les autres.

Richan porte son regard sur un mutant à qui on a amputé les jambes. Il lui ôte ses perfusions, ses câbles électriques et son assistance respiratoire. Ce mutant, très maigre, n'a même plus de dents.

— Si on le conduit très vite à la clinique, il peut survivre !

— Très bien, répond Sylbras. Iric, tu t'en charges !

Iric charge le mutant sur son épaule. Puis tout le groupe redescend par l'ascenseur et sort par là où il est entré. Seul, un scientifique, qui voit le groupe sortir, tente de les arrêter et pose sa main sur l'épaule de Sylbras.

— Que faites-vous ? demande la blouse blanche.

Sylbras, sans même se retourner, irradie son corps. Cette irradiation se propage alors dans le corps de l'ingénieur qui crie de douleur. Le groupe d'extrémistes s’enfuit alors, le laissant à l'agonie.

Une fois à la clinique, Richan installe le mutant dans une chambre et s'occupe de le réveiller. Phia installe une caméra devant le lit, Sylbras s'avance.

— Bonjour mon frère, dit Sylbras. Te souviens-tu de ton nom ?

— Ha...Halard, répond-il avec beaucoup de mal.

— Tu n'as plus à t'en faire ; nous t'avons libéré. Tu es bien un mutant capable de produire de l'électricité, n'est-ce pas ?

— Oui, mais … où suis-je ? Je ne suis plus à l'usine ? bégaie-t-il.

— Nous t'en avons sorti. Peux-tu nous raconter ce qu'il se passe là-bas ? Vu ton état, ce ne doit pas être la vie de rêve que la Reine nous vend.

— On s'est tous fait avoir, confie-t-il. Ils nous attachent à un lit, nous nourrissent par perfusion et nous obligent à fournir de l'électricité, tout en nous maintenant éveillés.

— Pourquoi n'as-tu plus de jambes ?

— Ils nous les coupent dès qu'on commence à avoir des escarres.

— Saurais-tu nous dire depuis quand tu es enfermé dans cette prison ?

— Pas vraiment. Je me suis engagé à mes vingt ans, en pensant que j'allais mieux gagner ma vie...

— En quelle année es-tu né ?

— En 562.

— Nous sommes en 596, dit Sylbras. Tu as donc trente-quatre ans. Cela fait presque quinze ans que tu subis cette torture.

Le mutant n'en revient pas ; son corps entier se met à trembler ; des larmes coulent naturellement sur ses joues. Sylbras le laisse se reposer et s'avance vers la caméra pour conclure :

« Voyez comment la Reine nous traite, et ce n'est qu'un aperçu ! Il y a une trentaine d'autres victimes dans l'usine de la capitale. Il est grand temps pour nous, mutants, de nous réveiller ! L'heure de la révolte a sonné ! »

Phia coupe alors la caméra. La vidéo est prête à être diffusée partout. Pour cela, le groupe de Sylbras a déjà piraté le système de diffusion du Palais. Il ne suffit que de quelques manipulations pour allumer tous les écrans de la capitale et y passer la vidéo de l'anguille.

— C'est envoyé, dit Phia.

— Bien, répond Sylbras. Nous n'avons plus qu'à attendre. Le peuple devrait se soulever. Quand tous les regards se tourneront vers la révolte, nous pourrons nous infiltrer au Palais et tuer la Reine Venea une bonne fois pour toute.

Iric, le colosse, ne peut lui aussi s'empêcher de verser une larme. Il est extrêmement choqué du sort réservé aux anguilles. Pour ne pas laisser paraître sa peine, il s'isole dans un coin.

— Quand j'ai ouvert cette clinique, explique Sylbras à Phia et Richan, c'était pour soigner tous les mutants de la cité. Puisque la Reine ne voulait rien faire et laisser mourir les malades et les blessés, il a bien fallu que quelqu'un fasse quelque chose. Plus le temps à passer, plus j’ai réalisé que la pire maladie des mutants, c'est la Reine. Il est temps d'en finir.