La Grande Soirée

Dans la capitale, la Reine organise une soirée pour présenter les potentiels prétendants à Stesara. Comme le temps est clément, la fête se déroule dans le jardin du palais dans lequel de nombreux serviteurs se pressent de tout installer afin que les convives ne manquent de rien.

Pendant ce temps, dans sa chambre, Stesara se prépare avec l'aide d'une servante qui effectue les dernières retouches à sa robe de soirée.

— Quel est ton nom ? demande la jeune fille à la servante.

Voyant qu'elle ne répond pas, Stesara détourne le regard.

— Je..., hésite la servante, je n'ai pas le droit de vous adresser la parole.

— Je ne dirai rien, la rassure Stesara. Tu as ma parole.

— Je m'appelle Leema. Mais cela fait bien longtemps que plus personne ne m'appelle comme ça.

— Tu es une mutante, c'est pour ça ?

— Oui, j'ai deux cœurs !

— D'accord, c'est pour ça que je n'ai rien vu.

— Seuls les citoyens aux mutations invisibles à l’œil nu sont autorisés à pénétrer dans le palais.

— Y a-t-il beaucoup de mutations différentes ?

— Une infinité, répond Leema. Certains ont des écailles ou des plumes sur la peau ; d'autres sont plus grand ou plus petit que la normale ; d'autres encore ont même la faculté de produire de l’électricité. Dents pointues, griffes, queues… Il serait fastidieux de vous les énumérer toutes.

— Incroyable ! s'exclame Stesara.

— Votre robe est prête, annonce Leema.

La jeune fille enfile sa longue robe blanche et demande :

— Comment me trouves-tu ? C'est la première fois que je porte ce genre de vêtement.

— Vous êtes magnifique, répond Leema.

— Je ne savais pas qu'on pouvait s'habiller dans l'unique intérêt d'être belle. Chez nous, nos vêtements doivent seulement nous être utile dans notre travail et nous protéger du froid. C'est tout.

— Vous n'aurez jamais plus à travailler ici, lui confie Leema. Je dois maintenant vous coiffer.

Stesara s'assoit alors dos à Leema.

— Y aura-t-il du monde à cette soirée ? demande Stesara.

— Tous les humains y sont conviés. De plus, il y aura un nombreux personnel pour servir à boire et à manger, sans oublier les gardes. Toute la capitale aura les yeux rivés sur vous, car la soirée est filmée et diffusée sur tous les écrans géants de la ville.

— Filmée, tu dis ? s’étonne la jeune fille.

— Oui, des caméras enregistrent la soirée et les images sont ensuite envoyées sur des écrans.

— J'en apprends tous les jours, dit Stesara. C'est comme l'électricité, j'en avais entendu parler dans nos livres car nos ancêtres avaient installé des panneaux pouvant capter l'énergie du soleil pour la transformer en électricité. Mais cela fait plusieurs siècles que ces panneaux ne fonctionnent plus. Et personne ne sait comment les réparer.

— Ici, l'électricité est produite dans une immense centrale à charbon. On peut voir la fumée s'en échapper à l'autre bout de la ville. Il arrive souvent qu'elle soit en surchauffe. Dans ces cas-là, toute la ville est privée d'énergie quelques heures. Au palais, des mutants sont utilisés pour en produire. Vous n'en manquerez donc jamais.

Leema termine le chignon de Stesara. Cette dernière est maintenant fin prête pour la grande soirée qui lui est dédiée.

La nuit commence à tomber ; la grande soirée commence. Tous les convives font leur entrée dans le jardin, tous très bien vêtus. Le banquet pourrait nourrir la capitale entière. Mais il n'est destiné qu'aux humains purs. Alors que tout le monde trinque, la Reine fait son apparition. Tous les projecteurs sont braqués sur elle. Sa robe a une interminable traîne et brille de mille feux grâce aux diamants incrustés dans le tissu. Vénéa se dirige alors vers l'estrade et prend la parole :

« Bonsoir à tous, habitants de Queen City,

Ce soir est un grand soir. Un soir de fête, bien sûr. Mais surtout, un soir d'espoir !

L'espoir que l'humanité, jadis éclatante, renaîtra.

Oui, le destin a mis sur notre chemin une nouvelle jeune fille, pure et féconde. Grâce à elle et aux autres femmes, encore en âge de donner la vie, nous recréerons une société qui n'aura rien à envier à celles d'antan.

Ce palais accueille cet espoir. Il accueille ce qui reste de l'humanité. Nous imaginons que de nombreux humains vivent encore à l'extérieur de nos murs. Nous ne savons pas quelles épreuves ils endurent en ce moment même, tout comme les épreuves qu'a enduré notre nouvelle invitée, elle qui vivait dans un village souterrain dirigé par des mutants ne vivant que la nuit.

Ce soir, même si nous célébrons sa libération, je ne vous oublie pas pour autant, vous, les mutants de mon royaume. Je sais votre vie difficile. Vous devez chaque jour porter ce lourd fardeau qu'est cette malédiction.

En donnant votre vie pour faire renaître l'humanité, vous vous donnez une raison de vivre. Les humains du futur se rappelleront la lourde responsabilité qui vous a incombé.

Maintenant, assez parler, accueillons la douce et pure Stesara ! »

C'est au tour de Stesara de faire son entrée, applaudie par tous les convives, mais aussi dans toute la capitale. La jeune fille monte sur l'estrade aux côtés de la Reine qui reprend alors la parole.

« N'est-elle pas magnifique ? Imaginez la chance qu'elle a eu de naître dans un corps pur alors que toute sa famille est maudite.

Afin qu'elle donne rapidement naissance à de magnifiques enfants, nous allons lui présenter, l'un après l'autre, tous les hommes vivant dans ce palais. Ils auront chacun cinq minutes pour se présenter et tenter de séduire notre charmante invitée.

À la fin de la soirée, Stesara nous indiquera sur lequel d’entre eux son choix s’est porté. Elle et l’heureux élu passeront toutes les prochaines nuits ensemble jusqu'à ce qu'elle tombe enceinte.

Sans plus tarder, allons nous asseoir et commençons. »

La Reine, prenant par la main Stesara, se dirige vers une table proche de l'estrade. Le premier homme est appelé à monter sur scène pour se présenter. Stesara interroge la Reine :

— Combien d'hommes vont se présenter ?

— Nous sommes soixante-quatorze humains dans ce palais en nous incluant toutes les deux. Il faut ensuite exclure les femmes, les moins de quinze ans et les plus de soixante-cinq ans. Ce qui nous fait trente-deux prétendants. La soirée va être longue, dit la Reine en souriant.

Les hommes défilent devant Stesara, chacun se vendant du mieux qu'il peut. Epher, par exemple, vante son intelligence ; Baceo, sa force ; Ryliam, son goût pour la lecture. Tertom, lui, pense d'abord au plaisir de Stesara en mettant en avant ses attributs. Edward, que Stesara a rencontré lors de son premier jour ici, se présente également. Il se prétend attentionné, respectueux, tendre et cultivé. Ce qui est certain pour Stesara, c'est qu'il est surtout beau parleur.

C'est au tour d'un nouvel homme, pourtant jeune mais aux cheveux blancs de monter sur l’estrade alors que plus de la moitié des prétendants se sont déjà présentés. Il provoque dans l'assemblée de nombreux chuchotements car personne ne le connaît.

— « Je suis Sylbras. Je suis ce que vous aimez appeler un mutant.»

La foule est choquée de ses propos. Les gardes s'apprêtent à l'arrêter lorsque Sylbras se saisit de l'homme qui devait se présenter à sa place.

« Un pas de plus et Stesara aura un choix de moins à faire.»

La Reine ordonne à ses troupes de ne rien tenter.

« Je m'adresse à vous, ma Reine mais surtout à vous, habitants de la capitale et de tout le royaume. Il est temps que le règne de cette folle prenne fin. Elle qui s'entête à vouloir aller contre l'évolution naturelle. Eh oui ! Les humains sans mutation sont des erreurs, contrairement à ce qu'elle veut nous faire croire.

N'ayez pas peur, mes frères et sœurs, de vos différences. C'est vous, le futur de ce monde. Tout comme les hommes ont remplacé les singes, c'est à nous de remplacer les hommes.

Notre Reine aime nous dire qu'elle pense à nous. Mais il n'en est rien ; elle se sert de nous. Nous sommes ses esclaves, ses soldats, voilà tout.

Il est temps pour nous de nous réveiller, de nous révolter !

Je suis Sylbras, et je suis celui qui va mettre fin à des siècles de dictature. »

— Arrêtez-le vite, crie la Reine, furieuse.

— Et l'otage ? demande Stesara.

— Ce n'est qu'un homme, et pas tout jeune, en plus. Tant pis !

Les gardes se ruent vers la scène. Sylbras pointe son index en direction du dos de l'otage, comme s'il menaçait d’un pistolet. L'otage se met alors à rougir et crier de douleur. Sylbras le pousse hors de l’estrade en direction des gardes puis en profite pour s’échapper. Deux gardes se saisissent de l'otage mais développent de suite les mêmes symptômes : une douleur intense et un rougeoiement de toute la peau.

— Que tout le monde parte, crie la Reine. Brûlez-moi ces types : ils sont complètement irradiés et condamnez cette partie du jardin.

La diffusion de la soirée s'arrête alors net, laissant tous les habitants de la capitale bouche bée. C'est ainsi que se termine la soirée de présentation de Stesara. La Reine entre dans un état de colère jamais atteint jusque là et ordonne à tous les soldats de retrouver Sylbras et de le rapporter, mort ou vif.