La Reine

Stesara est transportée dans une cage par les soldats, jusqu'à la capitale. Jamais la jeune fille n'aurait pu s'imaginer qu'une telle cité existât. Les immeubles, nombreux, sont si hauts qu'on ne peut en voir le sommet. Les sujets sont également en très grand nombre. Toute la population s'est mise de côté pour laisser passer la troupe de soldats. Tous les yeux sont rivés sur la ravissante détenue.

La troupe débouche alors sur une immense place, faisant face à un magnifique et imposant palais. Un soldat s'approche et fait sortir Stesara pour la conduire à l'intérieur de l'édifice. Celle-ci, bien qu'elle ne soit pas attachée, n'essaie pas de s'enfuir. Elle est tellement surprise par l'existence d'une telle ville aussi loin de son village qu'elle en a oublié son enlèvement. L'entrée du palais donne sur un immense hall au fond duquel siège un trône de hautes marches.

Sur celui-ci, une femme, vêtue d'une robe rouge vif, les cheveux blonds lui tombant sur la nuque, bien maquillée, les ongles longs au vernis blanc, les lèvres surlignées d'un rouge à lèvre assorti à ses vêtements, trône. Le soldat conduit Stesara au pied du Grand Siège et s'agenouille. La jeune étrangère est surprise mais ne le montre pas. Elle reste debout et contemple la femme au sceptre qui se lève alors et descend majestueusement les quelques marches la séparant de son invitée.

— Voici un corps pur, ma Reine, annonce le soldat.

— Regarde comme tu es belle, adresse la Reine à Stesara.

— Je... je ne comprends pas, bafouille la jeune fille.

— Elle vit parmi un peuple portant la même mutation, ajoute le soldat. Ils ont tous les yeux brillants.

— Quelle horreur ! s'exclame la Reine, dégoûtée. Qu'avez-vous fait de ces mutants ?

— Rien, ma Reine, répond le soldat. Ils ont l'air d’être de bons cultivateurs et éleveurs. Nous ne les avons donc pas tués. Ils pourraient servir notre cité.

— Très bien. Nous déciderons de leur sort plus tard. Occupons-nous d'abord de notre merveilleuse invitée.

La Reine caresse les cheveux de Stesara.

— Ma belle, au milieu de ces monstres, tu n'as jamais su que tu n'es pas unique. Bien que rare, il existe des hommes et des femmes comme toi qui n'ont aucune mutation. Des humains parfaits. Tous vivent ici, dans mon palais. J'ai hâte de te les présenter. Tu vas produire de superbes enfants.

— Que dites-vous ? interroge Stesara. Des enfants ?

— Oui, sourit la Reine. Le sort de l'humanité repose sur des femmes comme toi. Grâce à vous, un jour, il n'y aura plus de mutants. L'humanité retrouvera sa beauté aujourd’hui perdue.

— Pensez-vous que les habitants de mon village sont des mutants ?

— Ils le sont ! Tous les êtres vivant à l'extérieur sont des monstres. N'aie crainte. Ici, tu es en sécurité.

— Mon village m'a toujours tenue à l'écart parce que je n'étais pas comme eux. Mais ce ne sont pas des monstres pour autant.

— Tu as vécu dans le mensonge. Laisse-moi te présenter de véritables humains, ceux qui vivent ici. Tu as de la chance : les hommes sont moins rares que les femmes. Tu vas pouvoir choisir le père de tes futurs enfants.

La Reine prend la jeune fille par la main et l’accompagne à l'étage. Ce qui semble être des privilégiés passent le temps de diverses façons : certains lisent ; d'autres sont allongés pendant qu'ils sont massés par de petits êtres bossus.

— Ce palais sera désormais ta maison ! Toutes ces ignobles créatures seront sous tes ordres. 

Un homme, plutôt distingué, s'approche de Stesara :

— Laissez-moi me présenter. Je suis Edward. Si notre Reine le permet, j'aimerais vous faire visiter le palais et son jardin.

— Bonne idée, dit la Reine en prenant congé. Je vous laisse.

Alors que la Reine quitte la pièce, Edward prie la nouvelle de le suivre. Ensemble, ils se dirigent vers le jardin du palais. Celui-ci contraste vraiment avec la ville extérieure. Alors que la capitale est poussiéreuse, sombre, le jardin est, quant à lui verdoyant et chaleureux. Il y a de somptueuses fontaines, des arbres fruitiers en tout genre, des fleurs partout. Ce lieu semble idyllique et n’est fréquenté, à cette heure, que par peu de gens.

— Je n'ai jamais rien vu de tel, s'extasie Stesara, éblouie par ce qu'elle voit.

— Seuls les êtres purs peuvent entrer ici, explique Edward. Tu es une privilégiée. Bien sûr, un tel endroit a besoin d'être entretenu. C'est pourquoi tu croiseras parfois quelques mutants mais ils ont ordre de se faire discrets.

— Vous méprisez tant que ça les mutants ? demande la jeune fille.

— Ce sont des erreurs de la nature. Nous les traitons tels qu'ils doivent l’être.

— Combien d'humains comme moi vivent ici ?

— Moins que ce que la Reine espère. Nos soldats explorent tous les jours le monde extérieur afin d'en trouver de nouveaux. Heureusement, parmi nous, il y a des femmes qui...

— J'ai bien compris quel rôle joue la femme ici, interrompt Stesara.

— Vous avez un don formidable : celui de donner la vie. Je serais honoré si vous décidiez de me choisir comme le père de vos enfants.

— J'ai été naïve de penser que vous ne vouliez que me faire visiter.

— De nombreux hommes ici rêveraient de t'enfanter. Je prends juste les devant, ajoute Edward, en esquissant un léger sourire. Dépêchez-vous de faire votre choix. La Reine n'aime pas trop perdre son temps.

— Comment ? Je...

— Ne t'en fais pas, rassure Edward. Lorsqu'une nouvelle femme fait son entrée ici, la Reine organise une soirée au cours de laquelle tous les hommes se présentent. Tu pourras repérer celui qui te semble idéal. En attendant, laisse-moi te conduire à ta chambre.

Stesara suit le jeune homme jusqu'à une pièce fermée. Edward lui ouvre la porte et la laisse découvre ses quartiers.

— Comme tu es une femme, explique Edward, tu as droit à une chambre individuelle que tu peux partager avec autant d'hommes que tu désires. Je te laisse prendre tes marques. Nous nous reverrons tout à l'heure pour le dîner. 

— Attends, interpelle Stesara. Si la Reine veut tant que ça avoir des enfants, pourquoi n'en fait-elle pas elle elle-même ?

— Elle en ferait si elle le pouvait, confie Edward sur le pas de la porte. Malheureusement, elle est stérile.

Edward ferme la porte derrière lui, laissant Stesara seule dans sa nouvelle chambre. Celle-ci est bien plus grande que n'importe laquelle du village dans la montagne. Le lit est si grand que Stesara pourrait s'y allonger dans n'importe quel sens. Une garde-robe débordant de vêtements, des robes très élégantes mais également des vêtements de grossesse. Tout est pensé ici pour aider à la procréation. La jeune fille, à qui tout est arrivé bien trop vite, a du mal à réaliser. A peine est-elle arrivée dans la capitale qu'on lui demande de faire des enfants, elle qui n'a jamais eu de petit ami.

Tout le monde pense qu'avoir des enfants est la solution à l'avenir du monde. Mais c’est oublié que la mère de Stesara est morte en lui donnant la vie. La peur commence à envahir la jeune fille. Elle se dirige vers sa fenêtre donnant sur le jardin, au troisième étage. Impossible pour elle de s'échapper par là. Quand bien même elle y parviendrait, des soldats sont postés tout autour du palais. Et ne sachant pas où elle se trouve, comment rentrerait-elle chez elle ? Elle qui n'a jamais quitté son village. Il faut se rendre à l'évidence, Stesara est prisonnière. Aussi luxueuse soit sa cellule, ça reste une prison.