La Petite Fille et le Géant
Après plusieurs jours de marche, Tollen et son équipe sont de retour au port, prêts à rejoindre l'autre rive pour atteindre la capitale. Ils s'approchent d'une vieille connaissance : le vendeur de légumes qui les a fait traverser la première fois.
— Encore vous ! s'exclame le marchand.
— On t'a manqué le bonze ? demande Hélène.
— Pourquoi vous êtes encore là ? Je vous ai pas déjà emmenés de l'autre côté ?
— Si, dit Tollen. On en est revenu par un autre bateau. Pourriez-vous nous faire traverser à nouveau?
— Je suis commerçant, pas passeur ! De plus, vous êtes plus nombreux que l'autre fois.
— Allez ! insiste Hélène. On est devenu pote, non ?
— Si vous êtes revenus de Queen City, vous allez pouvoir me dire ce qui se passe là-bas. C'est quoi toute cette agitation ? On voit des soldats partout ces temps-ci. Le port est resté fermé plusieurs semaines. Ça n'a pas arrangé mes affaires !
— Y a pas la télé ici ? demande Hélène. C'est un mutant sur le trône maintenant et il chasse les non-mutants.
— Je comprends mieux. Hier, j'ai croisé une escorte qui recherchait une jeune fille pure. Apparemment, elle s'est enfuie avec un géant.
— Un géant, tu dis ? demande Tollen.
— Ouais ! Venea s'attaquait pas aux enfants au moins. Enfin, je veux bien vous faire passer si vous avez quelques unités, sinon c'est niet !
L'équipe se concerte.
— Ce géant, dit Tollen, c'est peut-être Brob.
— Et cette petite fille, dit Stesara, on ne peut pas la laisser aux mains des soldats.
— Vous oubliez notre plan ? demande Richan.
— On peut bien faire un crochet, ajoute Hélène. J'ai aussi envie de revoir le géant. On tuera Sylbras ensuite.
— Je suis d'accord, dit Toba tout à sa joie de voir le jour grâce à ses lunettes de soleil. Si l’on peut sauver une petite fille innocente, faut pas hésiter.
— Bon, dit Richan, si tout le monde est du même avis, allons-y.
Hélène se retourne vers le marchand.
— Bon, le bonze, dit-elle. On prendra ton bateau une autre fois. En attendant, on a besoin de la charrette de ton fils.
— Vous plaisantez ? hallucine le marchand.
Richan jette une bourse pleine d'unités. Le commerçant devient tout à coup plus aimable.
— Ok, prenez-là ! On allait en changer de toute façon. Quand vous repasserez, n’hésitez pas, je vous conduirai !
Une fois la marchandise vidée dans le bateau, l'équipe de Tollen monte dans la charrette du marchand.
— D'où tu sors tout cet argent ? demande Hélène à Richan.
— Le Nouvel Ordre, ça paie bien. Comme j'ai jamais besoin de rien, j'ai économisé.
— Et tu lui en as donné beaucoup ? demande Stesara.
— De quoi s'acheter un bateau, une charrette neuve et de bons chevaux. Vous avez une idée d'où aller ?
— On cherche un groupe de soldats et on les fait causer ! résume Hélène.
L'équipe de Tollen n'a pas à chercher longtemps. A la sortie du port, deux gardes scannent des citoyens à la recherche de non-mutants. Hélène s'avance vers eux.
— Salut, les mecs, ça roule ? Paraît que vous cherchez une humaine non-mutant avec un géant ?
— Mais attends, dit un garde, tu ressembles à la femme du roi.
— T'es sûr ? demande le second.
Le premier sort une photo d'Hélène, récupérée d’images de vidéo-surveillance de la capitale quand Hélène y était.
— T'as raison, ajoute le second, c'est elle !
Hélène s'approche de la photo :
— Mais non, dit-elle. Vous voyez bien que cette femme a beaucoup moins de classe que moi !
— On t'emmène voir le roi, dit le premier garde. On verra bien.
Hélène tranche la gorge de celui qui a essayé de la menotter. Alors que l’autre s'apprête à sortir son arme, Tollen, derrière, lui bloque le bras.
— On t'a parlé du géant et de la petite, dit Tollen. Parle !
— C'est trop tard ! Une équipe les a déjà localisés.
— Où ? demande Hélène, en approchant son sabre brisé de sa gorge.
— Dans une ancienne gare ferroviaire, à dix kilomètres au sud d'ici.
Tollen relâche le garde qui part en courant.
— Je pensais que tu l'aurais tué, dit Tollen à Hélène.
— Je peux donc encore te surprendre, dit Hélène en embrassant Tollen.
Le groupe se met en route. Après une demi-heure de charrette, ils aperçoivent des rails. En les suivant, ils arrivent à la gare.
Vingt minutes plus tard, il découvre que le géant, qui n'est autre que Brob, fait barrage à un groupe de dix soldats derrière des wagons abandonnés. Une petite fille en pleurs se tient derrière lui. Brob essuie des tirs ; il est temps pour le groupe de Tollen de le secourir. Hélène bondit depuis le toit d'un wagon sur un soldat et le découpe en deux. Tollen enfonce discrètement son couteau dans la nuque d'un autre et enchaîne en saignant le cœur d'un second.
Brob se sert de cette diversion pour frapper deux soldats avec un grand tube d'acier. Les effectifs des assaillants sont déjà passés de moitié. Alors qu'ils se regroupent pour faire face à leurs trois adversaires, l'un deux reçoit une flèche en pleine tête et succombe aussitôt. Stesara s'est postée sur un wagon et vise les soldats. Toba, qui ne veut pas être en reste, récupère les armes sur les cadavres. Il en donne une à Richan et en garde une. Ensemble, ils tirent sur les individus restants. Enfin, la bataille se termine. Brob a écopé d’une profonde blessure ; Richan va de suite lui porter secours.
— C'est vous, dit Brob, je vous dois une fière chandelle.
La petite fille se jette dans les bras de son ami le géant. Hélène donne une tape sur le dos de Brob.
— Content de te revoir aussi, dit-elle. Alors comme ça tu joues à la nounou ?
— J'ai promis à sa mère après sa mort de m'occuper d'elle.
— C'est tout à ton honneur, dit Tollen.
Toute l'équipe festoie autour d'un feu de camp. Pendant ce temps, Richan recoud la plaie de Brob.
— Je ne t'ai pas présenté Stesara, dit Tollen à Brob. Voici ma fille.
— Tu l'as donc retrouvée, dit le géant. Je suis bien content.
— Et toi ? demande Tollen, as-tu pu retrouver ton village ?
— Hélas non ! Peut-être n'existe-t-il même plus !
— Ta mère t'aurais menti ? demande Hélène. Pourquoi ?
— Pour que je garde espoir. Peut-être voulait-elle que je fonde mon propre village. C'est ce que j'ai compris quand j'ai rencontré la petite et sa mère. Ils vivaient seuls dans un village abandonné.
— On ne t'a pas demandé, dit Stesara à la petite. Quel est ton nom ?
— Lau, dit la petite, timidement.
— Alors cette petite n'a pas de mutation ? demande Richan.
— Non ! Seule sa mère était au courant. Quand le nouveau roi a pris le trône, elle a fui avec Lau pour la protéger. Je les ai rencontrées quelques jours après ; sa mère m'a tout raconté. Je ne comprends pas pourquoi mutants et non-mutants se font la guerre alors que ce monde est assez grand pour tous nous accueillir. J'ai alors conclu un pacte avec Lau. Je lui ai dit qu'on fonderait notre propre village, un village dans lequel tous, sans exception, pourraient vivre heureux.
— Pourquoi avoir fui votre village ? demande Toba.
— Les soldats nous ont retrouvés et y ont mis le feu. La mère de Lau n'a pas survécu. Je suis parti avec Lau sur mes épaules sans me retourner.
— Quel âge as-tu, petite Lau ? demande Stesara.
— Quatre ans, dit la petite en montrant ses doigts.
— Nous avons prévu de tuer le roi, dit Tollen. Comme Lau, ma fille est non-mutante.
— Tuer ? dit Brob. Pourquoi doit-on faire la guerre pour avoir la paix ?
— Je suis désolé, dit Richan à Brob. J'ai terminé de recoudre ta plaie. Mais ça ne suffira pas. C'est déjà bien trop infecté et je n'ai pas le matériel pour te soigner.
— Ce n'est sûrement pas un hasard si je meurs en vous retrouvant.
— Ne dis pas n'importe quoi, rassure Tollen. Viens avec nous. Nous trouverons de quoi te soigner en ville.
— C'est trop tard, dit le géant. Je sens que mon heure est venue. Je ne veux pas que Lau me voit mourir. Pouvez-vous la prendre avec vous et lui donner ce que je n'ai pu lui donner ?
— On va pas se coltiner une petite... , commence Hélène, avant d'être coupée.
— Bien sûr, dit Stesara.
La petite fille se blottit dans les bras du géant fiévreux.
— Lau, dit le géant, écoute-moi bien. Notre route se sépare désormais. Je te laisse en compagnie d'amis. Tu seras en sécurité avec eux. Ils font partie de notre village où tu pourras grandir heureuse. J'aurais aimé continuer la route avec toi. Mais c'est impossible...
— Tu es malade, demande Lau ?
— Oui, je vais rejoindre ta maman. De là-haut, tous les deux, nous veillerons sur toi.
— Je veux rester avec toi et aussi retrouver ma maman, dit Lau.
— Tu as encore plein de choses à vivre ; ce n'est pas le moment. Un jour, tu nous rejoindras. Mais ta maman et moi voulons que ce soit le plus tard possible, lorsque tu auras vécu tout ce que tu as à vivre.
Lau se met à pleurer. Brob fait signe à ses amis de partir avec la petite. Richan a trouvé un véhicule appartenant aux soldats du royaume. Il libère les chevaux de la charrette et démarre la voiture. Tollen porte la petite fille et dit un dernier mot au géant :
— Au revoir, mon ami ! Je te promets de prendre soin de Lau comme si c'était ma propre fille.
Tous les six montent dans la voiture, laissant Brob s'endormir pour son dernier sommeil. Richan prend la route ; le silence se fait pesant. Lau n'arrive pas à sécher ses larmes malgré l'attention que lui donne Stesara. Tollen ne peut se retenir de verser une larme à son tour.
— Sylbras, dit-il en regardant le ciel, tout ça est de ta faute. Crois-moi, tu le paieras !
Hélène le prend dans ses bras. La peine de chacun est grande. Il est temps d'en finir avec le roi.