Le Pacte

Sylbras et Richan rejoignent Iric et Phia sur la place près de la grande fontaine., face au Palais, leur point de rendez-vous.

— C'est fichu, dit Iric. D'autres nous ont précédés. Maintenant tous les gardes sont sur le qui-vive.

— Oui, j'ai entendu ça, dit Sylbras, contrarié. À priori, ils seraient deux. Ils en avaient après la nouvelle humaine.

— L'une des deux est tombée d'une fenêtre du palais, dit Phia.

— Un garde l'a poussée ? Il faut faire savoir ça au peuple ; ça va les motiver !

— Ce n'est pas tout, ajoute Phia. On l'a pensé morte. Mais elle s'est relevé, sans aucune séquelle.

— Quoi ? demande Sylbras étonné. Sa mutation l'aurait-elle rendue résistante ?

— On aurait dit plutôt qu'elle s'était soignée rapidement, explique Iric. Elle était défigurée : d'un coup, son visage s'est ré-assemblé !!

— C'est possible que sa mutation impacte ses cellules qui se régénèrent plus vite, explique Richan.

— Il faut qu'on la retrouve, dit Sylbras. On doit en savoir plus sur elle.

— La Reine se montre, dit Iric.

En effet, la Reine, accompagnée d'un homme et de deux gardes, s'est rendue sur la terrasse. Elle commence alors son discours :

« Cher peuple de Queen City,

Je comprends votre colère. J'ai moi-même été scandalisée d'apprendre ce qui se passe dans cette usine de production d'électricité. Celle-ci a été fondée sous le règne de ma mère, la Reine Raven, afin d'alimenter le Palais. Elle est depuis sous le contrôle de son directeur, ici présent, à mes côtés.

Croyez-moi, je n'avais aucune idée de la façon dont l'électricité était produite sinon j'aurais arrêté cela de suite. C'est pourquoi, et compte-tenu que nous disposons maintenant d’une centrale à charbon, j'exige la fermeture immédiate de l'usine et la libération des mutants.

Je présente aussi mes sincères excuses aux victimes ainsi qu'à leurs familles. Une juste indemnité leur sera fournie au titre du préjudice du tort causé. De plus, je ne peux laisser impuni ceux qui étaient au courant de ces pratiques. C'est pourquoi j'ordonne l'exécution immédiate du directeur de l'usine.»

La Reine se retourne alors vers un garde. Le directeur, qui, visiblement, n'était pas au courant de la tournure des événements, supplie la Reine de l'épargner. Le garde saisit une lourde hache et l’exécute, aux yeux de tous. La foule félicite la Reine. Les tensions semblant d'un coup être retombées, la Reine Venea retourne à l'intérieur du palais, satisfaite. Petit à petit, les manifestants se dispersent.

— Je m'attendais à ce qu'elle fasse fermer l'usine, dit Sylbras. Mais je ne pensais pas qu'elle irait jusqu'à tuer le directeur. Elle a gagné sur ce coup, je dois le reconnaître. Si mon plan avait fonctionné, je l'aurais tuée avant qu'elle ne s’exprime en public et la foule m'aurait adulé. Tant pis, elle ne perd rien pour attendre. Rentrons à la clinique.

Avant cela, Phia fait un détour comme tous les jours pour faire le point avec ses informateurs. Le lieu du rendez-vous change chaque fois ; l'entrevue est toujours très rapide. Ensuite, Phia retourne à la clinique débriefer Sylbras :

— Le type qui était avec la ressuscitée, informe Phia à son leader, est détenu à la prison du secteur sept. Il devrait rapidement être transféré au pénitencier royal.

— Alors même qu'il s'est rendu dans les quartiers des humains !? s'étonne Iric. Venea aurait dû le faire tuer.

— En temps normal oui, répond Sylbras. Mais pas en pleine crise sociale. C'est notre chance, allons le libérer de suite. Iric, tu vas t'en occuper seul. Ma tête est toujours placardée partout ; je compte sur toi.

Iric le fort se rend alors dans un bar du secteur sept et commence à boire quelques verres. D'un coup, il se met à bafouiller et frappe un autre client, doucement bien sûr pour ne pas lui décrocher la tête. Des gardes accourent pour mettre fin à la bagarre. Iric en bouscule un et crie : « À mort Venea ! ». Les autorités menottent l'ivrogne et l'embarque en cellule de dégrisement.

Chaque secteur dispose de sa prison. La plupart des détenus qui y séjournent ne restent pas plus d'une semaine. Ils sont répartis dans trois cellules, l’une pour les hommes, la seconde, pour les femmes et une autre, pour les enfants. Quand la peine encourue est plus longue, les détenus sont alors envoyés au pénitencier du royaume. Il n’en existe qu’un seul qui compte près de cinq milles détenus. La peine de mort étant chose courante, il est rare que les prisons soit débordées. C'est donc sans surprise qu’Iric se retrouve dans la même cellule que Tollen. Le grand gaillard passe à peine la porte ; une fois à l'intérieur, on lui détache les menottes. Ce soir-là, seul sept hommes sont retenus.

— Qui est celui qui a approché une humaine au palais ? demande le colosse.

Personne ne répond.

— Allons, allons, ajoute-t-il, je veux juste le féliciter.

— Quelques regards se tournent vers Tollen, assis dans un coin, le regard baissé vers ses pieds.

— C'est toi ? demande Iric à Tollen.

— Qu'est-ce que ça peut faire ? répond par l'interrogative Tollen.

Iric frappe un grand coup dans le mur de la prison qui s'effondre sous les yeux surpris de tous les détenus. Il attrape ensuite Tollen et le pose sur son épaule. Celui-ci tente de se débattre mais c'est peine perdue. Iric parvient sans aucun mal à filer avant que les gardes ne rappliquent. Il emporte Tollen à la clinique, le pose sur une chaise. Il se place derrière lui en posant ses mains sur ses épaules pour lui indiquer qu'il n'est pas prisonnier. Il est non attaché mais c'est tout comme avec une pression menaçante de plus de cent kilos sur ses épaules.

Le reste de l'équipe du « Nouvel Ordre » rejoint Iric. Sylbras prend la parole.

— Moi c'est Sylbras, dit-il. Le grand derrière toi, c'est Iric tandis qu'à mes côtés se tiennent Phia et Richan. Tu nous dois une fière chandelle, crois-moi. Personne ne rentre vivant du pénitencier.

— Qu'est-ce que vous me voulez ? demande Tollen très calmement.

— On a pas l'air de t'impressionner, dit Phia dépitée.

— J'ai déjà vu des êtres plus impressionnants que le molosse derrière moi.

— On ne te veut pas de mal, ajoute Sylbras. Nous faisons partie du « Nouvel Ordre ». Notre unique but est de faire tomber la Reine. Je sais que tu étais au palais avec une femme qui s’est jetée du troisième étage et n’a eu aucune égratignure. Qu'y faisais-tu ?

Iric retire ses mains des épaules de Tollen et lui donne une petite tape amicale.

— T'inquiète pas mon gars, dit-il. On est dans le camps des gentils.

— Je voulais récupérer ma fille.

— L'humaine est ta fille ? S’étonne Sylbras.

— Oui.

— Je comprends. Si tu nous aides, dit-il, on peut t’aider à sortir ta fille de là.

— Que me voulez-vous ? s’inquiéte Tollen.

— La fille avec toi, interroge Sylbras, c'est quoi sa mutation ? Comment a-t-elle pu s'en sortir ? Parles-nous de ta mutation également.

— J'ai les yeux qui brillent, répond Tollen. Ça me permet d'y voir la nuit mais je peux devenir aveugle le jour. C'est pourquoi je porte ces lunettes que ma fille a fabriquées. Quant à Hélène, mon amie, née il y a plus d'un millénaire, elle est immortelle.

Sylbras n'en revient pas.

— Incroyable, vraiment incroyable. Elle est peut-être celle qu'il nous faut pour accomplir notre révolution. Aide-nous à la trouver et on libère ta fille.

— Hélène est mon amie. Je ne la livrerai pas à des inconnus.

— Elle détient pourtant un savoir aujourd'hui perdu, explique Sylbras, en tentant de le rassurer. Elle peut nous aider à fonder une société aussi moderne que celle des humains jadis. Tout ce qu'on veut, c'est libérer le royaume de l'emprise de cette folle. Je comprends tes doutes. Repose-toi cette nuit dans la clinique. Profites-en pour visiter ; tu verras ce qu'on y accomplit et dans quel camps nous sommes. Je reviendrai te voir demain matin, si tu es encore là.

Sylbras quitte la pièce, rapidement suivi par Phia et Iric.

— Veux-tu que je te conduise dans une chambre ? demande Richan.

— Pourquoi pas ? J'ai besoin de repos.

Tollen suit donc Richan à travers la clinique.

— Ici, explique Richan, chaque jour, on sauve de nombreux mutants. La vie est difficile dans le royaume quand on est l’un d’entre eux. C'est encore plus vrai dans la capitale. J'ai moi-même travaillé pour l'ancienne Reine.

— Qu'y faisais-tu ?

— J'étudiais les mutations. Comment, il y a plus d'un millénaire, les hommes ont été frappés par ce que j'ai nommé le « Human Rising ». Au début, on pensait que c'était un virus. Aujourd’hui, je pense que c'est autre chose. Enfin, c'est un autre sujet. Raven me permettait de poursuivre mes recherches et me fournissait tout ce dont j'avais besoin. En contrepartie, je devais trouver comment les mutants pouvaient lui faciliter la vie. Pour ça, elle m'a poussé à commettre des choses atroces, comme les usines d'anguilles. Tu as dû en entendre parler récemment. C'est moi qui ai initié ce projet, et bien d'autres encore. Plus le temps passait, moins je pouvais me regarder en face. J'ai dédié ma vie à la science. Mais pour autant je ne voulais torturer personne ni mutants ni humains.

— Tu es un mutant, toi aussi ? demande Tollen.

— Bien sûr, répond-il. Je ne dors jamais.

Tollen reste silencieux, comme si cette mutation n'était finalement pas si intéressante que cela.

— Enfin, Sylbras est venu me voir. Il m'a sorti de l'emprise de Raven. Aujourd'hui, je peux continuer mes recherches comme je veux. Je peux me battre pour défaire ce que j'ai fait, comme pour racheter mes crimes passés.

— Tu as confiance en lui ?

— Oui.

Tollen arrive devant sa chambre.

— Voilà, dit Richan. Tu peux t'installer. Je demanderai à ce qu'on t'apporte à manger. Crois-moi, si toi et ton amie nous rejoignez, vous pourriez bâtir avec nous le monde de demain.

— Tout ce qui m'importe pour l'instant, c'est ma fille.

— Bien sûr. Mais qu'adviendra-t-il si tu la récupères ? La Reine lancera toute son armée à vos trousses et vous ne serez jamais tranquilles.

Richan quitte la chambre. Tollen peut enfin se reposer et réfléchir à ces dernières paroles.