La Grande Bataille

Une semaine après leur arrivée, conformément à leur plan, Hélène part seule à la rencontre de l'armée de Sylbras. Aldan active les défenses d'Eden et s'apprête à recevoir l'armée si jamais Hélène échoue. Richan se tient également prêt à lancer l'ordre aux enfants de la Lune de tirer avec leur canon d'antimatière.

À presque cent vingt kilomètres d'Eden, et après trois jours de marche, Hélène se poste sur une falaise et attend patiemment l'armée de Sylbras. Pendant ce temps, à Eden, Tollen se demande si elle va s'en sortir.

— Si tout se passe bien, dit Tollen, on n’aura pas à se battre et l’on pourra sauver mon peuple. J'ai hâte de retrouver Hélène.

— Tollen, confie Richan, elle m'a dit de ne rien te dire. Mais il vaut mieux que tu saches. Elle ne survivra sûrement pas.

— Quoi ? Elle est au courant ?

— Oui ! C'est justement pour ça qu'elle s'est portée volontaire. Elle veut en finir ; elle estime que sa vie a été assez longue. On peut la comprendre ; tu dois respecter son choix.

Tollen, refusant de l'accepter, demande à Aldan d'ouvrir les portes d'Eden. Il prend alors la voiture et part rejoindre Hélène, sous les yeux de sa fille qui ne comprend pas son geste.

— Merde, se dit Richan. J'espère que je ne viens pas de tout faire foirer...

L'armée de Sylbras parvient à la position d'Hélène qui descend de la falaise pour faire face à Sylbras en tête de l'armée sur son cheval.

— Salut, roi des cons, dit-elle. Regarde ce que ton ami Richan a fabriqué. Avec ça, tu vas littéralement entrer en fission et imploser.

— Hélène ? dit Sylbras surpris.

Hélène charge son arme. Pour la première fois depuis longtemps, on peut lire de la peur sur le visage de Sylbras. C'est à ce moment que Phia surgit par derrière la vagabonde pour la frapper. Sylbras bat en retraite avec une dizaine de ses hommes et demande au reste de ses troupes d'avancer vers la cité d'argent. Hélène se relève, folle de rage que Phia lui ait gâché son unique chance de tuer le roi.

— T'es fière de toi ? demande Hélène.

Phia s'équipe de plusieurs petits couteaux de lancer. Hélène pose l'arme de Richan au sol et dégaine son sabre brisé.

— C'est quoi ton petit truc à toi ? demande Hélène en faisant référence à sa mutation.

— Tu vas vite le savoir, répond Phia.

Phia envoie une volée de couteaux alors qu'Hélène s’avance vers elle. L'immortelle est plantée de toute part mais cela ne la ralentit pas. Elle s'apprête alors à donner un coup de sabre lorsque Phia bloque son coup. Les deux jeunes femmes se retrouvent nez à nez. C'est à cet instant que Phia embrasse son adversaire. Hélène recule, surprise :

— Qu'est-ce qui te prend ? demande-t-elle.

Phia ne répond pas et sourit. Tout à coup, la tête d'Hélène commence à tourner.

— Qu'est-ce que tu m'as fait ?

— Tu voulais savoir ce que c'était mon truc, non ? demande Phia en ricanant. Eh bien voilà, ma salive est venimeuse ; elle provoque de fortes hallucinations.

Hélène brandit son sabre et se met à taper dans le vide. Sa vision est floue ; elle est confuse et ne parvient plus à détecter Phia.

À quelques kilomètres de là, Tollen croise l'armée de Sylbras. Il cache son véhicule en retrait et observe l'armée. Il remarque d'abord que Sylbras n'est pas là mais surtout qu'il n'y a eu aucune explosion. Il imagine alors le pire. Une fois l'armée éloignée, il reprend le volant et fonce en direction de la position d'Hélène.

À Eden, Stesara interroge Richan.

— Pourquoi mon père est-il parti si vite ? demande-t-elle. Où compte-t-il aller ?

— Il est parti rejoindre Hélène, explique Richan. C'est de ma faute ; je suis désolé.

— Pas le temps de discuter, crie Aldan depuis les remparts. Je vois l'armée au loin. Ils seront là d'ici une demi-heure.

— Ce qui veut dire qu'Hélène a échoué ? demande Toba.

Richan tente à nouveau de contacter les enfants de la Lune.

— Commandant Rubston, dit-il. Nous avons besoin de votre aide.

— C'est entendu, répond-il. Nous armons notre canon et le dirigeons devant les murs d'Eden.

— Très bien ! D'ici combien de temps pourrez-vous tirer ?

— Une heure.

— Vous ne pouvez pas faire plus vite ?

— Non malheureusement. Si on ne calibre pas le canon, nous risquons de détruire toute la zone, Eden compris.

Richan va prévenir Aldan. Ses hommes devront retarder l'armée pendant trente minutes. La tâche ne sera pas simple car s'ils veulent préserver Eden, ils devront empêcher l'armée d'y pénétrer. La troupe d'Aldan se place donc à l'avant de l'entrée, soutenue par l'attirail de la cité d'argent. Stesara et les autres humains se postent sur les remparts, avec une nuée de flèches, prêts à recevoir l'armée.

De son côté, Hélène a de nombreuses hallucinations. Elle distingue en face d'elle son mari et ses enfants.

— Vous ne pouvez-pas être là ! crie-t-elle.

— Tu nous as oubliés, répond le mari.

Hélène se met à pleurer, frappe les images de sa famille et les visions disparaissent. Phia profite de la scène un peu en retrait.

— Tu as de la chance d'être immortelle. C'est juste pour ça que Sylbras s'intéresse à toi sinon tu serais déjà morte. Bon, souffle Phia, ne perdons plus de temps ! Je vais détruire cette arme qui fait peur au chef et te ramener au palais.

À Eden, l'armée de Sylbras fait face à Aldan et à ses neufs hommes. Le commandant donne l'ordre de lancer l'assaut. Stesara et les humains lancent une première salve de flèches tandis que les tourelles d'Eden se mettent en marche et fusillent de nombreux soldats. Devant cette puissance de feu, l'armée recule. Le commandant donne l'ordre à un groupe de cavaliers d'avancer vers la porte pendant que le reste de l'armée se met à couvert pour tenter de détruire les défenses d'Eden à distance. Vient ensuite le moment du choc, celui où les cavaliers qui ont réussi à passer à travers les tirs parviennent devant Aldan.

Le combat débute alors. Bien que chaque homme d'Aldan peut à lui seul venir à bout de dix soldats de moyenne classe, ceux-ci se retrouvent vite submergés par les nombreux cavaliers. Dix minutes se sont écoulées depuis le début de l'assaut.

Phia termine de nouer une corde autour d'Hélène pendant que celle-ci peine à retrouver ses esprits.

— Allez, s'exclame Hélène. Avoue-le, tu es jalouse de moi. Tu aimerais bien te taper ton bon roi ; mais tu ne peux pas l'embrasser avec ta salive empoisonnée.

— Ferme-la !

Hélène bien attachée, Phia se dirige vers l'arme de Sylbras pour la détruire. Elle lève alors son pied au-dessus du fusil pour l'écraser lorsque Tollen intervient discrètement et assène un coup mortel à Phia. L'homme des montagnes a enfoncé son couteau dans la gorge de Phia qui n'a rien vu venir. Il libére ensuite Hélène.

— Tout va bien ? demande Tollen.

Hélène gifle Tollen.

— Que fais-tu là ?  demande-t-elle. Tu ne devrais pas être ici.

— Richan m'a expliqué ton projet d’en finir.

— Et alors quoi ? Tu voulais m'en empêcher ?

— J'ai bien fait de venir, au final ?

— J'avais la situation bien en main.

— C'est ce que je vois !

Hélène récupère l'arme de Richan et la fixe sur son dos.

— L'armée avance vers Eden, dit Tollen. On doit y aller.

— Vas-y, toi, répond Hélène. Moi, je vais corriger mon erreur.

— Que comptes-tu faire ?

— Je reviens à notre plan d'origine : je vais à Queen City, je kidnappe Sylbras, je l'emmène dans le désert et je le désintègre.

— Non, répond Tollen. Nous trouverons une autre solution. Ça va te tuer.

Hélène attrape le visage de Tollen dans ses mains.

— On a vécu quelque chose de fort tous les deux, dit l'immortelle. Mais tu sais bien que ça ne peut pas durer. Je n'ai pas envie de te voir vieillir. Je préfère garder l'image que j'ai de toi maintenant. 

Tollen verse quelques larmes.

— J'ai vécu plus de mille ans, continue Hélène. Je dois aller retrouver ma famille.

— Je le sais, dit Tollen. Ce serait égoïste de te retenir.

— J'ai fait une erreur, dit Hélène. J'aurais dû te prévenir de mon choix avant de partir mais je n’aime pas les adieux.

— Alors c'est maintenant que nos chemins se séparent ?

— Oui, dit-elle, en laissant couler quelques larmes à son tour. J'ai passé des moments magiques avec toi. Pour ça, je ne te remercierais jamais assez.

— Moi aussi, Hélène, je suis content d'avoir fait partie de ta vie. Même si c’est plus court que ce que j'espérais.

Tollen et Hélène s'embrassent tendrement. Tollen la regarde s'éloigner et sèche ses larmes. Il reprend sa voiture et fait la route en sens inverse, vers Eden.

Devant les portes de la cité d'argent, la bataille fait rage. Une trentaine de cavaliers se bat encore contre les hommes d'Aldan qui sont sans soutien. En effet, ni les tourelles ni les archers ne tirent sur les cavaliers de première ligne pour ne pas blesser leurs alliés. Ils se focalisent donc sur le reste des soldats au loin, qui, grâce à leur fusils, parviennent à détruire les tourelles. L'assaut final va être lancé d'un instant à l'autre. Cce n'est pas la troupe d'élite d'Aldan qui va venir à bout d'une armée de mille hommes.

On entend retentir le cor de guerre ; les soldats s'avancent vers Eden. Les cavaliers devant les murs sont tous morts. Mais lourd en est le prix. Quatre hommes d'Aldan ont péri. Quant à ce dernier, il a vaillamment combattu pour protéger les siens, si bien qu'il a reçu de nombreuses blessures. Il a perdu un bras et du sang synthétique bleu coule depuis son épaule. Alors que la fin semble proche, le commandant Rubston appelle Richan :

— Nous sommes prêts, lui dit-il.

— Alors feu ! s'exclame Richan.

Aldan et sa troupe entrent à l'intérieur d'Eden. Les archers descendent des remparts. Tout le monde se met à l'abri dans le bâtiment. Depuis la Lune, un rayon d'antimatière se dirige vers la position de l'armée ennemie. En moins d'une minute, ce rayon, si fin qu'il est invisible à l'œil nu, entre en contact avec l'ennemi. Une explosion puissante en découle et balaie tout sur son passage.

Une fois la poussière soulevée par l'explosion retombée, les humains à l'intérieur d'Eden remontent sur les remparts et constatent l'énorme cratère laissé par la déflagration. Il n'y a plus un seul soldat debout, signe de leur victoire. Chacun laisse alors exploser sa joie d'être sorti vainqueur de ce deuxième conflit.

Aldan, mal en point, et ses hommes fatigués et blessés, sortent de la cité s'occuper d’achever les derniers soldats agonisants, ceux qui ont survécu car suffisamment éloignés du centre de l'explosion. La plupart d’entre eux n'ont plus de jambes pour se lever et implorent Aldan de les laisser en vie. Mais la troupe d'élite d'Eden est sans pitié et ne fait aucun cadeau. Une fois cette sale besogne terminée, Aldan et ses quatre hommes entrent confirmer la bonne nouvelle : ils ont bien gagné cette guerre !