Les Retrouvailles
Le bateau du marchand de viandes et de légumes arrive à bon port, après avoir navigué un jour et demi sur une mer relativement calme. Tollen, sorti le premier, ne peut s'empêcher de vomir. Hélène se met à rire.
— Alors, se moque-t-elle, on a pas le pied marin ? Pas étonnant quand on a vécu toute sa vie à la montagne !
Le marchand et son fils accostent à leur tour.
— Vous nous aidez à décharger ? demande le fils naïvement.
— Alors là, vous pouvez toujours rêver, dit Hélène.
Hélène donne une tape amicale à Tollen pour lui signifier de partir. Alors qu'ils se rendent au port, ils comprennent de suite que les habitants de la cité sont agités. Ils se sont réunis et manifestent dans les rues de la capitale en direction du Palais. On peut entendre : « Mort à la Reine ! » dans la foule. Hélène stoppe un passant pour l’interroger. Celui-ci a une langue similaire à celle des serpents. Le sifflement qui sort de sa bouche quand il parle est insupportable :
— C'est quoi cette manif' ? demande Hélène
— La Reine nous torture depuis des années ; ça ne peut plus durer ! Rejoignez-nous !
Au sifflement, Hélène a un mouvement de recul.
— Non, c'est bon, dit-elle. Dégage avant que je ne t'arrache ta langue !
— Si la foule se dirige vers le Palais, dit Tollen, nous pouvons la rejoindre. Nous passerons inaperçus.
— On dirait que tous ces jours passés à mes côtés t'ont rendu plus malin, mon cher ami !
Alors qu'Hélène se félicite, Tollen a déjà atteint le défilé. Hélène, frustrée, s'empresse de le rejoindre.
— Tu as l'air de connaître cette Reine, dit Tollen. Que sais-tu d'elle ?
— Venea, fille de Raven, elle-même fille de je sais plus qui et ainsi de suite. J'ai vécu à la capitale il y a longtemps. J'en suis parti quand Venea tétait encore le sein de sa mère. La première Reine de ce royaume a été Danfrea ; c'était une bonne Reine. Elle a su mettre de l'ordre dans un monde bien merdique. Elle a même réussi à faire coexister mutants et humains. Plusieurs siècles ont passé. Raven a pris le pouvoir et là, cela a été de nouveau la merde. C'est d'elle que vient l'idée que les humains sont la race pure et que les mutants ne sont que des erreurs de la nature. Venea a pris le pouvoir il y a une vingtaine d'années et pense tout comme sa mère.
— Ta vie n'a pas été simple, s’émeut Tollen. Dans mon village, nous avons toujours vécu entre nous, sans aucun conflit. Même si nous étions technologiquement moins développés, nous étions heureux. Je ne peux imaginer toutes les épreuves que tu as traversées.
— Ne cherche pas à les imaginer. Ça ne ferait que nuire à l'image que tu as de moi !
— Quoi que tu aies fait Hélène, je n'oublie pas que c'est grâce à toi que je suis ici. Je te dois la vie.
— Arrête, tu vas me faire chialer ! Reste concentré : on arrive au palais ; on récupère ta fille et on rentre au village. T’as intérêt à me préparer tes meilleures recettes.
— Promis, sourit Tollen.
Devant le Palais, plusieurs milliers de citoyens manifestent. La garde entoure l’édifice afin que personne n'entre. La Reine doit prononcer un discours à la terrasse du Palais, donnant sur la place de ville. Mais comme celle-ci met beaucoup de temps avant de paraître, les esprits s'échauffent. Certains manifestants tentent d'entrer de force ; les gardes répliquent alors en frappant violemment les mutants. Une rixe commence alors entre gardes et manifestants. C'est l'occasion pour Tollen et Hélène de se faufiler vers le Palais. Ils escaladent la grille de clôture et passe à travers les épaisses haies. Les voilà désormais dans le jardin du Palais où aucun garde n'est présent. Ils entrent à l'intérieur, croisent un jeune garçon frêle. Hélène le menace de son sabre brisé sous son cou. Tollen l'interroge :
— Où est Stesara ?
— Réponds, gringalet ! menace Hélène.
— Dans sa chambre, au troisième, bafouille le garçon, apeuré.
Hélène l'assomme avec le pommeau de son sabre afin qu'ils n'alertent pas les gardes. Les deux intrus montent alors jusqu'au troisième où il y a de nombreuses chambres. Ils les ouvrent les unes après les autres. Certaines sont vides ; d'autres occupées par des humains qui sursautent de peur en voyant les deux mutants dans leur quartier. Après plusieurs essais, Tollen ouvre enfin la bonne porte : celle de la chambre de sa fille.
— Stesa, s’écrie-t-il.
— Père ? s'étonne Stesara.
Tollen prend sa fille dans ses bras. Hélène surveille près de la porte.
— Je suis tellement heureux de te revoir, dit Tollen ému à sa fille.
— Tu portes les lunettes que j'ai fabriquées ? demande-t-elle.
— Oui, elles fonctionnent à merveille. Grâce à toi, je peux voir le jour.
— Tant mieux, je suis contente !
— Viens, partons d'ici de suite.
— Pourquoi ?
Hélène s'avance vers la jeune fille.
— Pourquoi ? répète Hélène. T'es pas dans un putain de conte de fée, là ! Ce Palais est dangereux, et il risque d'être en flamme bientôt.
— Je suis désolée, dit Stesara, en évitant le regard de son père. Je ne peux pas rentrer. Ma place n'est pas dans la montagne. Je suis une humaine ; je dois rester avec les miens.
— C'est nous, les tiens, Stesa, dit Tollen. Peu importe que tu ne sois pas mutante, tu restes ma fille. Ici, tu n'es pas en sécurité.
— J'ai pas envie de continuer à vivre la nuit, dans le noir tout le temps. Je reste ici, pardonne-moi...
— Non mais... elle est en pleine crise d'ado, là, s'énerve Hélène qui s'approche de Stesara et l’attrape par le bras.
A ce moment-là, une dizaine de gardes fait irruption dans la chambre de Stesera.
— Plus un geste, crient-ils.
— Merde, dit Hélène, ça va être coton, là. Tu es prêt ? demande-t-elle à Tollen.
Tollen ne dit rien et attrape Hélène.
— Désolé, dit-il. C'est à cause de moi que tu es ici. Je refuse qu'ils t'enferment.
Tollen projette alors Hélène par la fenêtre. Il sait très bien qu'elle ne risque rien puisqu'elle est immortelle. Les gardes ne comprennent pas et se jettent sur lui. Ils ne cherchent pas à poursuivre Hélène puisqu'ils la pensent morte. Qui pourrait survivre à une chute de trois étages ?
— Ne lui faites pas de mal ! crie Stesara.
Les gardes quittent alors sa chambre, en emportant Tollen.
Hélène s'écrase dans le jardin du palais, sur une terrasse en pierres qu'elle a recouvert de sang. Au même moment, Iric et Phia, passant par là, assistent à la chute d'Hélène. Tout comme Tollen et Hélène, le « Nouvel Ordre » a profité de la manifestation pour s’introduire. Sylbras est parti d'un côté avec Richan, Iric et Phia, d'un autre.
— Merde, dit Phia, qu'est-ce qui se passe ici ? C'est une humaine ?
Hélène se relève alors, laissant les deux extrémistes, bouche bée.
— Fais chier, peste Hélène, c'est la première fois qu'un mec me jette d’une fenêtre. Vous êtes qui vous ? Des manifestants ? Vous devriez partir, ça va pas tarder à grouiller de gardes ici !
Hélène prend alors ses jambes à son cou, escalade la grille et disparaît dans la foule. Plusieurs gardes envahissent le jardin.
— Deux mutants se sont infiltrés ! crie l'un deux. Ils ne sont peut-être pas seuls. Fouillez tout au peigne fin !
Le plan du « Nouvel Ordre » vient de tomber à l'eau : plus possible de s'infiltrer discrètement. Ils se replient alors.
Au Palais, Tollen est présenté devant la Reine.
— Ma Reine, dit le garde. C'est l’un des deux mutants qui s'est infiltré. Apparemment, il est le père de Stesara.
— Et l'autre ? demande la Reine.
— Il est passé par la fenêtre. Une équipe est à sa recherche et fouille le jardin.
— Par la fenêtre ? s'étonne la Reine. Enfin, peu importe, j'ai d'autres soucis.
— Que fait-on de lui ? demande un garde. On l'exécute ?
— C'est vraiment pas le moment de tuer un mutant. Enfermez-le. Dites aux gardes dehors de ne pas violenter les mutants ; ça pourrait dégénérer !
— Bien, ma Reine.
Les gardes s’en retournent avec Tollen. La Reine, quant à elle, se prépare à s’adresser à son peuple. Elle doit à tout prix mettre fin à cette agitation.