Le Port

Le lendemain de ce que tout le monde appelle désormais « l'attentat de Sylbras », Tollen et son amie immortelle, Hélène, parviennent enfin au port indiqué par Brob quelques jours plus tôt. Cet port de pêche n'a rien à voir avec la ville immergée qu'ils ont visitée auparavant puisqu’elle est beaucoup plus animée ; de nombreux pêcheurs vivent ici.

— Il y a donc d'autres villages comme le mien, s’étonne Tollen, plus grands encore et plus développés.

— Et encore, ajoute Hélène, c'est rien comparé à la capitale. Ce qui est étonnant, par contre, c'est le nombre de gardes qui patrouillent ici. Enfin, tant qu'on fait rien de mal, ça devrait aller.

Hélène se met à rire.

— Avant de trouver un bateau, il faut que je te montre quelque chose d'incroyable.

— Quoi donc ?

— Un bar !

Hélène conduit Tollen dans le premier bar qu'ils croisent et demande au serveur ce qu'il a de plus fort. Une fois leur verre à la main, Helène apprend à Tollen comment trinquer.

— Maintenant, cul sec ! s'exclame Hélène. Tu bois tout d'une traite.

Tollen s'exécute mais s'empresse de tout recracher.

— Qu'est-ce que c'est que cette boisson ? demande-t-il. Tu veux m’empoisonner ?

Hélène pique un fou rire.

C’est alors que deux gardes entrent. Ils montrent une photo au serveur, juste à côté d'Hélène.

— Avez-vous vu passer ce type ? demande le garde au serveur.

— Non, jamais vu, c'est lui Sylbras ?

Les gardes s’en retournent sans répondre.

— Qui c'est ce Sylbras ? demande Hélène au serveur.

— Vous n'êtes pas au courant ? Un mutant a tué un humain hier soir au Palais de la Reine alors qu'elle présentait une nouvelle jeune fille pure, répond celui-ci.

— Une nouvelle jeune fille, dites-vous ? s’étonne Tollen.

— Oui, répond le barman, Stefa, Ste...

— Stesara ?

— Oui, c'est ça ! La soirée était diffusée dans toute la capitale. Ce matin, tous les marchands qui en reviennent ne parlent que de ça.

Tollen et Hélène quittent le bar pour rejoindre le port.

— On dirait qu'un coup d'état se prépare, dit Hélène. C'est pas une mauvaise chose. Cette Reine est complètement fêlée du ciboulot.

— Stesa est au milieu de tout ça. On doit faire vite, prévient Tollen.

— Je suis d'accord. Il nous faut trouver un bateau de marchand qui se dirige vers la capitale.

Hélène voit alors un homme chauve charger une petite embarcation de légumes frais.

— Eh, le bonze ! interpelle Hélène. Accepterais-tu de nous laisser monter dans ton rafiot ?

— Hors de question, crie le marchand. Dégagez !

— S'il vous plaît, implore Tollen. On doit absolument se rendre à la capitale.

— Bon, dit le marchand, vous avez de quoi payer ?

— Non, dit Hélène.

— Alors dégagez !

Hélène murmure à Tollen en aparté :

— Je lui aurais tranché la gorge si je savais naviguer.

— On peut peut-être vous payer différemment ? demande Tollen.

— Désolé, j'aime pas les hommes. Et ta nana est trop vulgaire pour moi.

— Je ne parle pas de ça... , dit Tollen désespéré.

— Vas te faire foutre, ajoute Hélène. Crois pas que j'aurais laissé un crâne d’œuf m'approcher.

Tollen et Hélène s’apprêtent à partir lorsque le marchand les rappelle.

— Bon, concède le marchand, j'ai peut-être autre chose. Il y a un groupe de sac d'os qui traîne près de mes champs. Si vous m'en débarrassez, je veux bien vous laisser monter.

— Eh ben voilà, dit Hélène. Tu vois qu'on peut s'entendre. Dis-nous où est ton champ qu’on le nettoie vite fait bien fait. Par contre, tu nous prêtes ton véhicule, on va pas y aller à pied ! s’insurge Hélène.

— Très bien, mon fils va vous y conduire.

C’est dans la charrette du marchand, menée par son fils et tractée par deux chevaux qu’Hélène et Tollen se dirigent vers le champ du pêcheur à quelques kilomètres au sud du port. Ils y rencontrent la femme du marchand qui leur raconte que leur clôture a de nouveau été endommagée et que certaines de leurs bêtes ont été dévorées. Ils se rendent alors sur place.

Tollen déchiffre de suite les traces de pas des monstres qui ont fait cela. Ils remontent la piste jusqu'à déboucher dans une caverne sombre. Tollen enlève alors ses lunettes et guide Hélène dans l'obscurité où est tapi un troupeau de sac d'os, mutants difformes et toujours affamés. Les monstres, qui ont senti la chair fraîche, se dirigent vers les deux chasseurs. Tollen brandit son couteau de chasse et coupe la gorge du premier. Cette fois, il n'y a plus aucun effet de surprise. Tollen connaît ces monstres et leurs forces aussi bien que leurs faiblesses. Hélène, de son côté, tranche dans le vif, un peu plus en difficulté car elle ne voit pas grand-chose dans le noir. Elle parvient tout de même à en découper deux ou trois. Tollen fait de même lorsqu'il entend Hélène crier. Un sac d'os lui a mordu l'épaule. Il accourt alors et enfonce son couteau dans le dos de la bête.

— C'est le dernier, je crois, dit Tollen. Tout va bien ?

La plaie d'Hélène s'est déjà refermée.

— Fais chier ! J'ai encore bousillé un tee-shirt. Retournons voir le marchand. Il a intérêt à nous emmener maintenant.

Le fils, qui a chargé la charrette de viande fraîche, conduit les deux voyageurs au port.

— Merci de votre aide ! dit le fils du marchand. Nous avons plusieurs fois demandé aux autorités de nous débarrasser de ces monstres. Mais ils ne font jamais rien. Nous n'avons plus qu'à charger le bateau et nous pourrons lever l'ancre.

— Combien de temps faut-il pour atteindre la capitale ? demande Tollen.

— Si nous partons avant la nuit, nous devrions arriver après demain, avant midi.

— J'espère qu'il y a à manger sur votre barque, dit Hélène.

Après avoir aidé le marchand et son fils à charger le bateau en marchandises, en provisions et en charbon, Tollen et Hélène montent à bord. Cap sur la capitale !