La Révolte

A l’hôpital, Sylbras se réveille enfin de son opération. Il se rhabille et cherche Richan dans les couloirs. Ne le trouvant pas, il se dirige vers le laboratoire. A sa grande surprise, il constate que celui-ci est vide et que la cellule de Tollen est ouverte. Il s'assoit alors, sans laisser paraître la moindre émotion et patiente sagement. Phia revient au bout d'une heure et le trouve toujours assis.

— Sylbras ? demande-t-elle. Que se passe-t-il ?

— Il semble que notre ami Richan ait décidé de nous trahir.

— Il est parti avec l'immortelle et Tollen ?

— Oui.

— Veux-tu que je demande à nos hommes d'ouvrir les yeux ?

— Nous le ferons, mais ce n'est pas la priorité pour l'instant. Richan ne me sert plus à rien ; je me fiche de son départ. En fait, c'est plutôt pour Hélène que je suis ennuyé. Je comptais lui demander sa main.

— Ils n'ont pas pu quitter la ville. Les soldats sont partout. Les têtes de Richan et de Tollen sont mises à prix.

— Peu importe ! J'ai toute l'éternité pour épouser Hélène. Préparons-nous plutôt pour l'assaut du Palais. Tu vas faire passer le message à tous nos hommes : nous attaquerons ce soir à la tombée de la nuit. C'est là que le règne de Venea prend fin. Qu'ils en parlent autour d'eux, que tous les hommes qui veulent la tête de la Reine nous rejoignent.

— Très bien, ce sera fait. Je pars les en informer.

Phia s'apprête à quitter la pièce lorsque Sylbras la retient :

— Attend, dit-il. Une chose avant de partir : peux-tu me poignarder ?

Phia s'avance vers Sylbras. Sans prévenir, elle plante un couteau dans le cœur du leader du Nouvel Ordre qu'elle retire ensuite. Sylbras crie de douleur et crache même du sang. Mais au bout de quelques secondes à peine, la plaie sur son torse se referme et il ne ressent plus aucun mal.

— Parfait, se réjouit Sylbras. Tu peux y aller.

Phia part pour de bon cette fois accomplir sa mission.

Tout au long de la journée, la foule s'agglutine devant le Palais royal, attendant les prochaines instructions de leur leader, Sylbras. La Reine a posté des soldats tout autour du bâtiment afin d'empêcher quiconque d'y pénétrer. A l'intérieur, l'inquiétude monte : Venea, sentant le vent tourner, réunit tous les humains pour leur parler :

— Mes enfants, dit-elle, mes magnifiques enfants, une guerre va éclater. Si jamais ça tourne mal, je veux que vous quittiez le Palais.

— Mais où irons-nous ? demande une jeune fille.

— J'ai sélectionné quelques-uns de mes meilleurs soldats. Ils vous mettront à l'abri.

— Et vous ma Reine ? interroge un homme, vous devriez venir avec nous.

— Je ne quitterai pas mon royaume, explique-t-elle. Je ferai face à ce monstre de mutant extrémiste.

— S'il vous arrivait malheur ? questionne une autre femme.

— Alors je veux être sûre qu'il ne vous arrivera rien. C'est pourquoi je veux que vous me promettiez de quitter le Palais si un conflit éclate.

Les non-mutants acquiescent, terrifiés mais déterminés à rester en vie.

— Vous êtes l'avenir de ce monde, termine Venea. N'en doutez jamais. Même si des illuminés comme ce Sylbras peuvent faire croire au monde que les mutants ne sont pas une erreur de la nature.

La Reine quitte le quartier des humains pour se rendre dans ses appartements, dans la chambre la plus haute du Palais.

À la tombée de la nuit, Sylbras rejoint la foule et se faufile jusqu'à la grande fontaine de la place. Elle est ornée de trois grandes et majestueuses têtes de lion. Le leader du Nouvel Ordre monte sur l'une d'elles afin de prendre de la hauteur.

— Ce soir mes amis, commence Sylbras, c'est la fin du règne de Venea et le début du Nouvel Ordre. Un ordre dans lequel les mutants n'auront plus à vivre sous les ordres des non-mutants. La Reine s'est trop longtemps moqué de nous ; elle se sert de nous pour sa cuisine, son jardinage, même pour produire son électricité. Elle fabrique aussi ses propres mutants, dociles, pour servir les rangs de son armée. Elle ne voit en nous que des serviteurs. Il est temps que ça se termine.

Entendant la foule acclamer leur nouveau leader, la Reine se montre sous bonne escorte à la terrasse de sa chambre.

— Le monde est ainsi fait, explique la Reine, sa parole relayée par un micro dans toute la ville. Ces mutations ne sont que le résultat d'une maladie qui a contaminé le monde entier. Vous n'y êtes pour rien, je le sais bien. Avec moi, vous savez que nous pouvons construire un monde aussi beau qu'il était jadis. C'est ça, l'avenir que vous voulez ? Vous voulez continuer de voir vos enfants naître difforme et monstrueux ? Car c'est l'avenir que veut vous offrir Sylbras.

— Arrête de ne voir que le passé, dit Sylbras. Le monde n'est plus comme avant et ne le sera jamais plus.

— Dernière chance, Sylbras, dit la Reine, quitte de suite cet endroit ou je devrai employer la force.

— Hors de question, répond Sylbras, déterminé.

La Reine donne l’ordre de faire feu. Une bombe incendiaire est alors lancée sur Sylbras faisant plusieurs blessés aux alentours. Une fois les flammes éteintes, le leader est encore debout ; seuls ses vêtements ont souffert des flammes. Celui-ci sourit en direction de la Reine.

— C'est le signal, à l'attaque ! crie-t-il alors.

Le peuple se soulève, criant pour se donner du courage. Il fait face aux soldats du royaume qui, bien que moins nombreux, sont mieux armés et mieux préparés au combat. C'est donc tout naturellement que ce conflit tourne au carnage du côté des citoyens de la capitale. Sylbras s'y attendait ; ce n'est pas une surprise pour lui. Le seul objectif du Nouvel Ordre est d'ouvrir les yeux aux habitants de la capitale et non de les préparer au combat.

Ce conflit, Sylbras compte le gagner seul. Il a juste besoin de créer une diversion pour occuper l'armée de Venea. La mutation du leader extrémiste est certes puissante mais elle a un défaut majeur : les attaques à distance. C'est pourquoi il a besoin d'hommes pour lui permettre de s'infiltrer dans le Palais à l'abri des tirs ennemis. Maintenant qu'il est immortel, grâce à Hélène, il n'a plus aucun point faible. C’est pourquoi il décide de lancer l'assaut au plus tôt alors qu'il n'a pas encore accueilli suffisamment de combattants dans ses rangs. Environ cinq milles hommes tiennent tête à la Reine. C'est bien trop faible pour impressionner des soldats qui sont équipés d'armes similaires à celles de l'ancien monde : fusils, mitraillettes ou lance-flamme pour ne citer que celles-là.

Sylbras, sans jamais s'arrêter, avance en direction du Palais. Il reçoit quelques balles mais cela ne le ralentit pas pour autant. Aucun soldat n'ose l'approcher ; tous connaissent sa mutation ; le moindre contact leur serait fatal.

— Laissez-moi passer, ordonne-t-il devant la porte fermement gardée.

Devant le silence des soldats, Sylbras s'avance lorsque l'un d'entre eux l'étreint. Ce soldat courageux provient directement de la fabrique, ce qui fait de lui un surhomme. Sylbras irradie son corps mais le brave soldat ne fléchit pas.

— Tu veux mourir pour ta Reine, n'est-ce pas ? demande Sylbras, amusé.

— J'ai ordre de ne laisser passer personne, répondit-il. Moi vivant, tu ne passeras pas.

— Ta loyauté t'honore. Pour un type né d'une mère monstrueuse et uniquement pour la servir, ça ne m'étonne pas.

Sylbras l'irradie un peu plus. Le corps du soldat rougeoie tant la brûlure est vive mais il ne bronche pas. Les troupes de la Reine parviennent progressivement à disperser la foule des manifestants qui, malgré leur envie de détrôner Venea, se rendent compte de leur faiblesse. Alors que les morts se comptent par centaines, les survivants commencent à déserter le combat, réalisant que malgré leurs efforts, personne pas même Sylbras ne parvient à pénétrer dans l'enceinte du Palais. Un autre soldat fabriqué se jette sur le corps de Sylbras pour l'étreindre à son tour.

— Vous commencez à me chauffer, s'énerve Sylbras qui comprend que le seul but des soldats est de gagner du temps.

C'est à ce moment qu'au loin, Phia, armée d'un lance-roquette, tire en direction de Sylbras. L'explosion éloigne tous les soldats et détruit la porte d'entrée. Sylbras, qui se remet rapidement des blessures infligées par la déflagration, entre, suivi de dizaines de ses partisans qui se ruent sur les gardes postés derrière la porte. Plus rien n'empêche le leader du Nouvel Ordre de monter au dernier étage confondre la Reine, qui attend en observant la bataille depuis sa fenêtre.

— Nous y voilà, dit Venea en voyant entrer Sylbras.