Dans l'Arène

Le port de la capitale devenu inaccessible depuis le coup d'état de Sylbras, le groupe de Tollen fait route vers un village portuaire voisin. Un contact de Richan va le faire traverser en échange de quelques unités. Au moment de payer, Tollen se demande s'il doit proposer au passeur un travail en échange du voyage. Hélène, quant à elle, se demande si elle ne doit pas lui trancher la gorge pour naviguer gratuitement. Finalement, Richan paie pour tout le monde puisqu'il est le seul à avoir de l'argent sur lui.

Un jour plus tard, l'équipe a rejoint la côte opposée et a repris la route à pied en direction de la montagne de Tollen et Stesara jusqu'à ce que le coucher du soleil les pousse à faire une halte.

Stesara allume un feu ; tout le monde s'assoit autour.

— C'est incroyable, ce calme lorsque l'on est loin de la capitale, remarque Richan.

— Ce qui serait incroyable, continue Hélène, c'est d'avoir un truc à bouffer. On n’a rien mangé depuis ce matin au port.

— Nous sommes tous épuisés dit Stesara. Nous ferions mieux pour l'instant de dormir. Nous trouverons à manger demain.

Au petit matin, Hélène est réveillée par l'odeur d'un poisson qui grille sur le feu.

— Je suis morte. Ça y est, enfin ? Je vais pouvoir manger à n'en plus finir.

Stesara et Richan se réveillent à leur tour. Tollen est en train de préparer un repas.

— Tu as pêché cette nuit ? demande sa fille.

— Oui, répond Tollen. C'est plus simple d'attraper des proies en pleine nuit. J'ai aussi réussi à piéger un lièvre et à cueillir quelques fruits. Nous aurons de quoi manger pendant un jour ou deux. Prenez des forces ; la route est encore longue.

— Tu dois être épuisé ? demande Richan.

— J'ai pu me reposer un peu ; ça suffira !

Après s'être bien remplis la panse, Tollen et les autres reprennent la route et s'arrêtent toutes les six heures pour manger ou dormir.

Après trois longues journées, le groupe arrive dans une ville enfouie sous le sable.

— Je connais cet endroit, dit Hélène. Nous ne sommes plus très loin de la montagne. Mais attention où vous mettez les...

L'immortelle n'a pas terminé sa phrase qu'ils ont tous glissé dans une cavité souterraine.

— Est-ce que tout le monde va bien ? demande Stesara.

Chacun acquiesce sauf Hélène, debout à regarder le trou par lequel ils sont tombés.

— C'est la fin, dit-elle. Nous allons finir nos jours ici. Vous avez de la chance : vous mourrez de faim ou de soif. Moi, je vais rester bloquée ici jusqu'à la fin des temps.

— Ne dis pas ça, dit Tollen. Nous allons trouver un moyen de sortir.

— Je ne voulais pas en arriver là, continue-t-elle. Mais si l’on a pas le choix...

Hélène dégaine alors son sabre brisé et l'approche de son bras gauche.

— Que fais-tu ? crie Tollen.

— Vous allez manger mon bras, explique-t-elle. Il repoussera de toute façon et vous n'aurez plus jamais faim. Ainsi, je ne me retrouverai pas seule. Du moins jusqu'à ce que vous mourriez de vieillesse.

— Hors de question, dit Stesara. Nous allons nous tirer d'ici.

— Je ne me sens pas très bien, dit alors Richan.

Les regards se tournent vers le scientifique qui a une flèche plantée dans l'épaule. C'est alors que d'autres tirs se font entendre. Il s'agit de cibles soporifiques : tous les quatre s'endorment dans la minute.

Plusieurs heures plus tard, Hélène et les autres ouvrent enfin les yeux. Ils remarquent alors qu'ils sont emprisonnés dans une cage. Un groupe de petits hommes qui grincent des dents s'approche. « Sorcière » s'écrie l'un d'entre eux d'une voix enrouée et presque inaudible en pointant Hélène du doigt.

— Tu connais ces créatures ? demande Stesara.

— Il se peut que j'aie tué deux ou trois nains comme ça quand j'ai traversé cette ville la dernière fois. Il devait sûrement en rester un que j'ai pas vu et qui est parti pleurnicher dans son village.

— Pourquoi te traite-il de sorcière ? continue Richan.

— Y en a un qui m'a planté une lance. Ils n’ont pas dû comprendre pourquoi ça m'a rien fait.

Le groupe reste enfermé plusieurs jours. Les nains leur apportent de temps à autre des rats cuisinés. Au début, tout le monde trouve ça dégoûtant mais les jours passant, ils n'ont plus d'autres choix que d'en manger.

— Comment expliques-tu que tous ces types aient la même mutation ? demande Tollen à Richan. Tu penses que ce peuple est similaire au mien ? Qu'on a regroupé ici jadis tous les individus avec des mutations similaires pour les étudier ?

— Difficile à dire, répond Richan. Cette ville a été enfouie sous le sable bien après le Human Rising. Rien ne ressemble à un centre de recherche ici. Leur mutation est peut-être commune dans ce coin du continent. En tout cas, c'est la première fois que j'en vois de la sorte.

— J'en ai jamais vu à l'extérieur de cette ville non plus, continue Hélène. Pas comme les autres affreux avec leur membres disproportionnés.

— Tu parles des insatiables ? demande Richan.

— Appelle-les comme tu veux. Je te parle des mutants affamés qui grouillent partout.

— Oui, continue Richan. On parle bien des mêmes. Eux ont effectivement une mutation très répandue, si ce n'est la plus répandue.

Ne les laissant pas terminer leur conversation, un groupe de petits mutants armés de lances s'approche des détenus pour ouvrir leur cage. Certains sont prêts à décocher une flèche soporifique. Le groupe de Tollen ne riposte donc pas et suit les mutants qui les conduisent à l'intérieur d'une grande arène. Une fois les quatre prisonniers à l'intérieur, les nains referment la porte. Tout le village réuni dans des gradins autour de l'arène exprime son excitation en criant et tapant du pied. Stesara se rapproche de son père ; elle est apeurée.

— Je ne laisserai aucun de ces monstres te toucher, lui dit-il.

— On est plutôt mal barré là, s'amuse Hélène.

Une cloche retentit alors. Tous les mutants font silence. Dans le gradin central, une silhouette fait son apparition : celle d'une vieille femme donnant le sein à deux enfants alors qu'elle semble être encore enceinte.

— Mes enfants ! crie-t-elle. Voilà une belle prise qui devrait nous assurer un joli spectacle.

La vieille femme s'adresse dès lors à Hélène.

— Alors c'est toi la sorcière qui as tué trois de mes enfants ?

Hélène explose de rire.

— Tu me traites de sorcière ! Ça doit faire longtemps que tu t'es pas vue dans une glace, vieille bique !

— Il suffit ! crie-t-elle. Tu ne sais pas quelle douleur c'est de perdre des enfants.

— Si, réplique Hélène. Je ne le sais que trop bien. Crois-moi, je t'ai fait un cadeau en te débarrassant de trois de ces déchets. Si tu m'en donnes l'occasion, je me ferais un plaisir de faire le ménage ici.

— Alors tous ces nains sont ses enfants ? demande Tollen.

— Oui, répond Richan. Ça me paraît clair. La mutation de cette femme doit être une super fertilité. Elle doit aussi être hermaphrodite car je ne vois nulle part un semblant de père. Comme son corps ne peut pas supporter ces grossesses à répétition, ses enfants sont petits et difformes.

— Il y a au moins deux cents mutants ici.

— Vu son âge, dit Hélène, ça doit faire plus de vingt ans qu'elle vit dans ce trou. A coup de dix enfants par an, on arrive au compte.

— Si vous voulez mon avis, dit Richan, il faut éliminer cette femme avant qu'elle ne ponde d'autres de ces monstres.

A nouveau la cloche sonne. Les petits mutants laissent éclater leur joie. La porte, au coin opposé de l'arène, s'ouvre et une dizaine d'insatiables en sortent.

— À table ! crie la vieille femme.

— Elle veut nous laisser en pâture à ces créatures ! s'exclame Stesara effrayée.

Un des insatiables porte autour de son cou un sac à l'intérieur duquel se trouve le couteau de Tollen et le sabre brisé d'Hélène.

— Ils veulent du spectacle, rie Hélène. Ils vont en avoir !

Hélène court en direction du groupe d'affamés et saute sur celui qui possède les armes. Alors que l’un d’entre eux lui mord le ventre, Hélène saisit son sabre et lui tranche la tête. Elle saisit le couteau de son ami et le lui envoie à travers l'arène. Tollen place sa fille près de Richan et fonce rattraper son couteau. Le tenant fermement, il le plante dans le crâne du premier insatiable à portée. Hélène continue le massacre en tranchant trois autres mutants coup sur coup. Tollen fait de même. En quelques minutes, plus aucun sac d'os ne se tient debout. La cloche retentit encore. Les petits hommes saisissent leur arc et s'apprêtent à endormir Tollen et les autres.

— À couvert ! crie Hélène.

Chacun des quatre prisonniers se cache sous le cadavre d'un insatiable afin de se protéger de la salve de flèche. Personne n'est alors touché. Hélène fait signe à Tollen de se placer en dessous du gradin central. Hélène court vers lui et pose un pied sur ses mains. Tollen la projette en l'air de toutes ses forces. Grâce à cet élan et ce saut, Hélène parvient à s'accrocher en hauteur. Elle escalade alors les quelques mètres qui la séparent des gradins. Les nains approchent de l'immortelle. Même si quelques-uns parviennent à la blesser avec leurs lances, ça ne fait pas reculer Hélène qui se bat avec énergie. Elle repousse un nabot à l'intérieur de l'arène. Tollen l'achève d'un coup de couteau. Stesara s'approche de son cadavre pour lui extraire son arc et ses flèches.

— Tu sais te servir de ça ? lui demande son père.

— Il va bien falloir, répond-elle, prenant son courage à deux mains.

Stesara décoche alors quelques flèches sur les opposants afin de libérer la voie. Hélène continue son ascension vers le gradin de la vieille matriarche. Alors qu'un nouveau groupe lui barre la route, elle attrape une torche et la jette au sol. Le feu prend alors très rapidement dans les gradins en bois et sur la cabine de la mère des nains recouvert de draps de part en part. Le chaos est maintenant total. Tous les nains évacuent la zone et escortent leur mère en lieu sûr. Hélène descend derrière l'arène et ouvre une porte de sortie à ses coéquipiers.

— Foutons le camp d'ici ! dit Hélène.

Le groupe s'échappe à son tour en tuant plusieurs nains sur leur route jusqu'à ce qu'ils arrivent vers des escaliers menant vers l'extérieur.

— On s'en est tiré ! se félicite Stesara en voyant la lueur du soleil.

Hélène porte son attention vers un bâtiment voisin.

— Finissons-en, dit-elle. Ils se sont repliés là-bas. On doit trouver la vieille peau et lui faire passer l'envie de se reproduire encore.

— Tu as raison, dit Tollen. Nous irons tous les deux. Stesara, Richan, vous attendrez ici.

Hélène et Tollen avancent donc vers le bâtiment où est réfugié le reste des nains qui n'a pas péri dans l'incendie. A l'intérieur, aucune lumière ne filtre. Tollen baisse donc ses lunettes ; Hélène s'agrippe à lui et le suit à travers les sous-sols d'où se dégage encore beaucoup de fumée. Les claquements de dents se font entendre plus proche, signe que la meute n'est pas loin. Dans une grande salle, Tollen discerne la mère entourée d'une cinquantaine de ses enfants.

— Elle est bien entourée, dit Tollen. Comment veux-tu l'approcher ?

— Je vais lui montrer ce qu’est une sorcière.

Hélène se déshabille entièrement.

— Qu'est-ce que tu fais ? demande Tollen. Tu as perdu l'esprit ?

— Prends mes vêtements et attend moi dehors ; ça va chauffer.

Hélène descend furtivement et assassine un nain en reconnaissance avec une lampe à huile. L'immortelle la lui prend et se déverse son contenu sur le corps. Elle allume ensuite spontanément le feu sur elle et fonce, sabre à la main, vers le groupe de nains qui prend peur en voyant la sorcière en feu.

— Aidez-moi mes enfants ! crie la mère.

Hélène s'approche d'elle et lui tranche la gorge avant de repartir rapidement. Les nains en colère décochent leur dernière flèche. Aucune ne ralentit cependant Hélène qui parvient à sortir du bâtiment. Les dernières flammes sur son corps s'éteignent. Sa peau guérit de ses brûlures ; ses cheveux repoussent. Il n'y a plus maintenant aucune égratignure sur le corps d'Hélène. Tollen détourne le regard de son corps nu et lui tend ses vêtements. Hélène s'habille et tous deux rejoignent Stesara et Richan.

— Si tu veux bien, dit Tollen, j'aimerais que Stesara ne soit pas au courant de ce que tu viens de faire.

— Tu ne veux pas qu'elle sache que tu m'as vu nue ? demande-t-elle.

— Je ne parle pas de ça. Je parle du coup des flammes.

— Impressionnant, non ? Promis, je dirais rien. Je veux bien croire que ça peut faire flipper une jeune ado.

Tollen et l'immortelle rejoignent les autres.

— C'est fait, dit Helène. La vieille ne fera plus d'enfants.

— On a perdu beaucoup de temps enfermé là dedans, dit Tollen. Reprenons la route sans tarder.

Le groupe poursuit son objectif principal : la montagne du village de Tollen et Stesara. Ni Richan ni Stesara n'ont osé demander comment s'était déroulée la confrontation avec la matriarche. Sûrement ont-ils eu l’intuition que cela avait dû être violent.